<69>

PIÈCES DIVERSES.[Titelblatt]

<70><71>

STANCES IRRÉGULIÈRES SUR LA TRANQUILLITÉ.

Non, ce n'est point au dieu qui répand les pavots,
Au dieu de qui la main pesante
Plonge tout l'univers dans un profond repos,
Que ma muse à peine naissante
Prétend consacrer ses travaux;
Je laisse aux muses indolentes,
Au haut du Parnasse expirantes,
Tout l'honneur d'invoquer ce léthargique dieu.
Qui veut monter sur le Parnasse
Doit choisir la première place :
Entre bon ou mauvais il n'est point de milieu.

Pour moi, je chanterai ce dieu rempli de charmes,
Ce père des plaisirs, l'ennemi des alarmes,
Qui préfère les oliviers
Aux rameaux précieux des palmes triomphantes,
Et qui refuse les lauriers
Lorsque leurs feuilles sont sanglantes.
<72>O vous, plaisir charmant, douce tranquillité,
Nous recevons de vous les vrais biens de la vie;
Dans votre calme heureux, la haine ni l'envie
N'interrompent jamais notre félicité.

Qu'importent les grandeurs, présents de la fortune?
Qu'importe de Crésus l'inutile trésor?
Le sage fuit des rois la faveur importune,
Les biens sont le jouet du sort.
Ces noms si fastueux, qui font trembler la terre,
D'arbitres des humains, de foudres de la guerre,
Ces noms, à qui l'erreur érige des autels
Qui sont le digne prix des fléaux des mortels,
S'achètent par le sang, le meurtre et le carnage.

Remarquez ce héros si fier de son courage,
Dont l'intrépide cœur méprise le danger,
Qui brave mille morts au front de son armée,
Et qui dans le péril brûle de s'engager :
Dans le fond de son cœur, il craint la renommée
Et ce que l'univers de lui pourra juger.

Qu'auraient fait les vainqueurs des Gaules et d'Asie,
Vous, Alexandre, et vous, César,
Sans de vaillants soldats, prodigues de leur vie,
Et sans le secours du hasard?
L'un, au lieu d'être roi, né pâtre en Macédoine,
N'aurait point renversé le trône de Cyrus;
<73>L'autre, sans l'argent de Crassus,
Sans l'orgueil de Pompée et sans le bras d'Antoine,
N'aurait point asservi les Romains abattus.

Ces destins sont fameux, mais leur vicissitude
Mêle l'amertume au bonheur :
Quel est donc ce frivole honneur
Qu'on ne doit point à soi, mais à la multitude?

De ces triomphes vains mon cœur n'est plus tenté;
Je plains l'aveuglement profane
Dont la sombre fureur émane
De cet héroïsme entêté.

Ces champs si fortunés où règne l'opulence,
Qui, réchauffés des feux de l'astre des saisons,
Produisent de riches moissons,
Ces champs qu'habitent l'innocence,
La candeur et la tempérance,
Si la guerre venait répandre sa fureur,
Seraient changés soudain en théâtre d'horreur.
La terre abondante et fertile
Présenterait un champ stérile,
Et l'on verrait, dans ces climats,
Les épis moissonnés par d'avides soldats,
Les arbres renversés, les maisons abattues,
Et les violateurs, répandus dans les rues,
Porter partout le fer, la flamme et le trépas.
<74>Ces charmants lieux, témoins des danses ingénues
Dont Julie et Chloé célèbrent leurs plaisirs,
De leur rustique amour expriment les désirs,
Entendraient mille cris élevés jusqu'aux nues,
Capables de nous attendrir,
Des victimes de la patrie,
Que Mars, exerçant sa furie,
Inhumainement fait périr.
Loin de voir ces ébats qui nous donnent la vie,
Un spectacle effrayant viendrait partout offrir
Ceux à qui le fer l'a ravie.

Malheur à l'inhumain qui sentit le premier
De trop d'ambition son âme surmontée,
Et qui du funeste laurier
Cueillit la branche ensanglantée!
Son exemple, à jamais fatal au genre humain,
De l'enfer amena sur terre
Le démon cruel de la guerre,
Armé d'un double front d'airain;
La justice, depuis, avec nous fit divorce,
L'équité disparut, tout plia sous la force,
Et de paisibles rois changés en conquérants,
De la gloire avalant la trop flatteuse amorce,
Furent pirates et brigands.

Pyrrhus, en tentant la fortune,
Gémissait sous le poids d'une ardeur importune;
S'il cherchait des dangers et d'illustres rivaux,
<75>Courant, le fer en main, de contrée en contrée,
Son cœur désirait moins la palme des héros
Qu'il ne se promettait de ses projets nouveaux
Qu'au bout de sa course égarée
Son prix serait le doux repos.

O seul et vrai bonheur! ô seul bien de la vie!
Présent précieux d'Uranie,
Tranquillité d'esprit, difficile à trouver,
Et difficile à conserver,
Ton secours à l'espèce humaine
Fait supporter l'adversité,
Modère la prospérité,
Et calme, dans l'âme hautaine,
L'amour de la vengeance et le feu de la haine.
Ta vertu doit son être à la réflexion,
Mais ta plante belle et tardive
Ne prospère point sur la rive
Que possède l'ambition.

Qu'en vain les volages mortels,
Jouets des passions, jouets de l'inconstance,
Se consument d'impatience,
En prenant les faux biens pour les seuls biens réels;
Qu'en proie à leur incertitude,
Désireux d'obtenir, lassés de posséder,
Ils soient, par leur inquiétude,
Ou par ambition, prêts à tout hasarder :
<76>Pour moi, je veux jouir de ce temps favorable
Sans donner des regrets aux jours qui ne sont plus,
Et sans m'embarrasser, par des soins superflus,
De l'avenir impénétrable.
Pourquoi former de vains projets,
A de fameux revers sujets?
Dans le cours de nos ans, terme si peu durable,
Je veux sur mon chemin du moins semer des fleurs,
Et, peignant tout en beau, rendre ma vie aimable :
La vérité désagréable
Ne vaut pas mes douces erreurs.

Faites 1736. Corrigées à Potsdam, 1750. (Envoyées à Voltaire
le 22 mars 1739.)

<77>

VERS FAITS DANS LA CAMPAGNE DU RHIN, en 1734.

Loin de ce séjour solitaire
Où, sous les auspices charmants
De l'amitié tendre et sincère,
Je goûtais tous les agréments
D'un commerce doux, fait pour plaire,
Dans un séjour plus turbulent
Mon inconstant destin me guide;
Le dieu des combats y préside.
Ce dieu si fier, si violent,
Ne respire que les alarmes;
Au haut d'un trophée éminent,
S'élève son trône insolent,
Entouré de casques et d'armes.
Bellone au regard inhumain,
Sur ses cruels foudres d'airain,
Aux ordres de ce dieu soumise,
Auprès de ce trône est assise;
Proche d'elle, l'Ambition,
Par l'appât de l'illusion,
<78>Attire le peuple et l'amorce.
Là paraît la nerveuse Force,
La Confiance et la Valeur,
Et le Courage téméraire,
Avec l'Audace sanguinaire,
Qui s'appuient sur le Point d'honneur;
Et l'Intérêt et la Licence,
La brutale Férocité,
Ministres de sa violence,
Sont tous placés à son côté.
Cette cour, pleine d'insolence,
Ne désire que les combats,
L'ardente soif de la vengeance;
Le sang ruisselle sous ses pas,
Le fier Orgueil et l'Arrogance
Y sèment l'horreur du trépas.
Où ce dieu tient sa résidence,
Il fait déraciner exprès
Tous les oliviers des forêts;
Il ne souffre dans sa présence
Que les lauriers et les cyprès.
Sa voix excite le carnage,
Il transporte ses courtisans
Dans de sombres accès de rage;
Et ces sanguinaires agents,
Insensibles, dans leur furie,
Au plaisir de donner la vie,
Se font gloire de la ravir.
Quelle horreur que de s'assouvir
Du sang, grand Dieu! d'un propre frère!
Mortels, le jour qui nous reluit
<79>Nous fut donné d'un commun père.
L'affreux trépas qui nous poursuit
Sous nos pieds creuse notre tombe;
L'homme est une ombre qui s'enfuit,79-a
Une fleur qui se fane et tombe.
Mille chemins nous sont ouverts
Pour quitter ce triste univers,
Et la nature si féconde
N'en fit qu'un pour entrer au monde.
Ah! mortels, quelle est votre erreur
De prêter vos mains meurtrières,
Et vos talents, et vos lumières,
Au meurtre, au carnage, à l'horreur!
Enrôlé dessous les bannières
De ce dieu rempli de fureur,
Tandis qu'il ravageait la terre,
J'ai su conserver ma douceur;
Dans l'acharnement de la guerre,
J'ai respecté l'humanité,
Et la candeur et l'équité.
Si j'ai su faire mon office
Sans être farouche et cruel,
C'est qu'on peut aller au bordel
Sans y prendre la chaude-pisse.

1734; corrigés à Potsdam le 14 novembre 1749. (Envoyés à Voltaire au mois de juin 1738, sous le titre de : Le Philosophe guerrier.)

<80>

STANCES A VOLTAIRE.

Hony, marchand de vin de Bruxelles, vint à Wésel, et porta à l'Auteur une Épître en vers de Voltaire.80-a L'Auteur avait alors dessein de voyager en Flandre, et il n'en fut empêché que par la fièvre quarte.

De votre passe-port muni,
Et d'un certain petit mémoire,80-a
S'en vint ici le sieur Hony,
Qui s'applaudissait de sa gloire.

Ah! dis-je, apôtre de Bacchus,
Ayez pitié de ma misère;
De votre vin je ne bois plus,
J'ai la fièvre, c'est chose claire.

Apollon, qui me fit ces vers,
Est dieu, dit-il, de médecine :
Écoutez leurs charmants concerts,
Éprouvez leur force divine.

<81>Je lus vos vers, je les relus,
Mon âme en fut plus que ravie;
Je fus guéri, du moins je crus
Que ces vers me rendaient la vie.

Et le plaisir et la santé
Que vous eûtes l'art de me rendre,
Et force curiosité,
D'un saut m'emportèrent en Flandre.

Enfin, je verrai dans huit jours
Le généreux rival d'Homère;81-a
Et quittant la morgue des cours,
Je pourrai vivre avec Voltaire.

Partez, Hony, mon précurseur,
Muni de ce nouveau diplôme :
L'intérêt est votre moteur,
Le mien, c'est de voir un grand homme.

Faites à Wésel (5 septembre) 1740.

<82>

VERS A JORDAN, SUR LA COMÈTE QUI PARUT EN 1743.82-a

Hélas! Jordan, tu tremble encor,
Et tu crains pour ce pauvre monde
Que la grande comète Hétor,
Que le ciel à jamais confonde!
Vienne terminer notre sort.
Pour toi, ce serait grand dommage :
Tu n'es qu'à la fleur de ton âge,
Tu fis à tout pauvre chrétien
Au moins mille fois plus de bien
Que ce prélat82-11 qu'en beau langage
La Neuville rendit si sage,82-b
Que personne n'y connut rien.
En tous lieux ton bon cœur opère :82-12
Par tes soins l'école s'éclaire,
Et par toi le pauvre est nourri;
<83>Tous les fous t'appellent leur père,
Les Madeleines leur mari.
Et voilà pourquoi je souhaite
Que l'impertinente comète
N'ait pas le cœur de te rôtir.
Pour moi, s'il me fallait partir
Pour le pays de Proserpine,
Ma mort ferait anéantir
Une âme tant soit peu mutine.
Tu sais très-bien que, jeune fou,
J'ai renversé les vieux systèmes
Que les marins, peuples jaloux,
Avaient arrangés pour eux-mêmes,
Que nos aïeux topinamboux83-a
Avaient révérés à genoux.
Oui, tu sais que mon bras coupable
N'expédia que trop souvent
Plus d'un maudit pandour au diable,
En Silésie, en nous battant.
Ainsi, quand sur moi, misérable,
Cette affreuse comète Hétor
Lancerait son feu redoutable,
Elle n'aurait, ma foi, pas tort.

Potsdam, ce 27 de juin 1743.

<84>

DISCOURS SUR LES IGNORANTS.

Le beau Balbus, dont l'aimable figure
Rassemble en lui les dons de la nature,
Lui, qu'on dirait que l'Amour a formé
Pour plaire au monde et pour en être aimé,
Ce beau Balbus n'est qu'un fat à ma vue,
Dont le discours vous assomme et vous tue,
Dont l'esprit froid, raboteux et nouveau
Ne tire rien de son vide cerveau,
Qui sur tout point décide sans connaître,
Et dont le fort est d'être petit-maître.
Je me trouvais chez le profond Jordan,
En compagnie avec cet ignorant.
Jordan plaignait les malheurs de la guerre,
On raisonnait des frais que l'Angleterre
Faisait toujours avec profusion,
Pour contenter sa vaste ambition.
« Madrid, je crois, en est la capitale,
Reprit Balbus; la cour impériale
<85>N'a-t-elle point jadis résidé là? »
Point, lui dit-on, Madrid est loin de là.
Comme on réglait les destins de l'Europe,
Que des États on tirait l'horoscope,
On poursuivit, malgré ce Chak-Bahan.85-a
Pour terminer cette guerre sanglante,
Il serait bon qu'en hâte le sultan
Fît avancer la troupe triomphante
De ses spahis, dans les combats brillante,
Pour attaquer l'Autriche dans l'instant;
Sans ce moyen, nul roi ne s'accommode.
Mais ce sultan habite l'antipode,
Nous dit Balbus; et chacun, en riant,
Prenait pitié de ce fat ignorant.
« Pour moi, dit-il, tranquille en ma coquille,
Je ne connais qu'à peine ma famille;
Peu soucieux de ces grands démêlés
Dont vos esprits me paraissent troublés,
Ce sont pour moi des contes de grand'mères,
Et, dans le fond, un homme tel que moi,
Sans s'informer de ce chaos d'affaires,
Pour s'appliquer n'a pas du temps à soi.
Quoi! vous croyez qu'il ne faut rien apprendre?
Notre art, dit-il, est l'art de nous répandre
Et de fournir à la ville, à la cour,
A tout moment quelque conte d'amour;
Tous les talents dès le berceau nous viennent,
Les gens bien nés de leurs parents les tiennent.
On m'a bien dit que des gens tels que vous
<86>Pour trop apprendre en sont devenus fous;
Sans l'embarras d'une étude importune,
Un ignorant parvient à la fortune.
Passe qu'un gueux rampant à nos genoux,
Pour se tirer du tas bourbeux de fange
Où son état méprisable le range,
Par le savoir s'élève jusqu'à nous;
Mais ce serait en nous extravagance
De rechercher l'inutile science
Qu'à deux genoux révère le savant.
Eh! que dirait la bonne compagnie,
En me voyant crasseux comme un pédant?
Cette sottise, avec raison punie,
Ne trouverait, dans le nombre charmant
De mes amis, nul qui ne me dénie. »
Dans ce moment, un président vint là,
Qui de ses jours le latin ne parla,
Qui, n'ayant lu ni Cujas ni Bartole,
Juge au hasard et buvant s'en console;
Chez un seigneur ce juge dépravé
Avait passé moitié du jour à table,
Où Maupertuis s'était aussi trouvé.
Nous abordant avec un air affable,
Il veut savoir quel est donc ce docteur,
Ce Maupertuis, ce grand aplatisseur,
Avec lequel il fut en compagnie.
C'est, lui dit-on, ce fameux voyageur
Qui, parcourant la froide Laponie,
Par les efforts de son puissant génie
A mesuré, secondé d'un secteur,
Du monde entier la forme et la figure;
<87>Et son calcul, qui soumet la nature,
A deviné le plan de son auteur.
« Dans les vieux temps, dit notre homme en furie,
On extirpait sorciers et diablerie;
Mais dans nos jours, siècle doux et poli,
Le zèle antique est par trop amolli. »
Calmez, calmez cette ardeur fanatique,
Lui dis-je alors; non, ce puissant appui
Du grand Newton, le sage Maupertuis
Ne s'est servi d'aucun secours magique;
Si son travail a perfectionné
Un art ingrat dont le calcul stérile
Est du succès rarement couronné.
Son but tendait à vous le rendre utile.
Voyez-vous bien ces grands châteaux flottants
Rapidement fendre le sein de l'onde,
Pour vous porter, des bouts d'un autre monde,
Tous les besoins du luxe de ces temps?
C'est le calcul, aidé de la boussole,
Qui leur soumet Neptune ainsi qu'Éole :
Gardez-vous donc, dans vos faux jugements,
De condamner l'élite des savants.
Un gros prélat à démarche tardive
Dans ce moment insolemment arrive;
Et la mollesse avec l'oisiveté
Semblaient avoir, avec leurs mains douillettes,
Pétri son teint, tout brillant de santé.
Ce confesseur de toutes les caillettes
Sur un sofa recueillit ses esprits,
Car ce saint homme, excédant sa portée,
Avait gravi sans aide la montée.
<88>Il se plaignait avec un doux souris
Que le Très-Haut, quoique prudent et sage,
Donne aux élus les peines en partage :
« J'ai fait, dit-il, un très-beau mandement,
In extenso, contre tout mécréant;
Je l'ai conclu, pour soutenir mon thème,
En prononçant un terrible anathème. »
C'est fort bien fait, répondent nos fripons :
Lorsqu'on n'a pas de puissantes raisons
Pour ramener un rebelle à l'Église,
Le plus court est qu'on l'anathématise.
« Vous le voyez, repartit le prélat,
Quels sont les soins de mon épiscopat :
J'ai fait des saints l'histoire intéressante;
Mais que dit-on de mes nouveaux sermons?
On vend partout cette œuvre édifiante. »
Ils sont très-beaux, mais ils sont un peu longs,
Et Massillon vous rend de grands services;
Il vous fournit de bons et forts secours.
« Observez bien : du déluge à nos jours,
En les peignant, j'ai foudroyé les vices;
J'ai condamné ces spectacles d'horreur,
Bal, opéra, redoute, comédie. »
Vous les avez sans doute vus, monsieur?
Dis-je en tremblant. Dieu garde! de ma vie.
Quoi! vous, prélat, qui ne connaissez rien,
Vous décidez et du mal et du bien?
Allez ouïr déclamer sur la scène
Ces beaux morceaux que Molière a laissés,
Où nos défauts par lui sont terrassés.
Il n'est rien là ni d'impur ni d'obscène,
<89>En badinant ils savent convertir,
De nos travers leur jeu nous fait rougir.
Quand les sermons fulminants que vous fîtes
N'ont jusqu'ici point fait de prosélytes,
Tartufe au moins charme jusqu'en ce jour;
De ses grands traits la beauté non ternie
A fait rougir plus d'un prélat de cour
En démasquant la folle hypocrisie.
La comédie est comme un grand miroir,
Quiconque y va peut tout du long s'y voir :
Là se présente un mari trop crédule,
Et du grondeur le chagrin ridicule,
L'impertinent, le marquis, le pédant,
Le fourbe adroit, l'avare, l'ignorant.
Mon gros prélat était prêt à répondre,
Lorsque l'on vit arriver en pompons
Jeunes beautés avec leurs greluchons,
Dont le fracas faillit à me confondre.
En moins de rien maîtresses du discours,
Toutes parlaient de sentiments d'amours,
Et décidaient, en tranchant la dispute,
Cent questions en moins d'une minute;
M'apercevant qu'ils n'allaient pas finir,
Je me sauvai, n'y pouvant plus tenir.
Je le vois bien, tout ce monde profane,
Disais-je alors, est fait pour les erreurs;
S'il applaudit, s'il juge, s'il condamne,
C'est un aveugle arbitre des couleurs.
Avec quel front, avec quelle arrogance
Dans nos cités figure l'ignorance!
Elle paraît au palais de Thémis,
<90>En long manteau redoublé de fourrure;
Elle n'a d'yeux que ceux de ses commis,
Elle est toujours dupe de l'imposture.
On la reçut dans les camps des guerriers;
Chez Lewenhaupt,90-a chez Cumberland90-b qu'elle aime,
De gros chardons lui servent de lauriers.
Elle a parfois voyagé en Bohême :
Là, du vieux Brogle elle ordonna les camps,90-c
Elle accoucha de ses succès brillants;
L'occasion s'échappe devant elle,
Mais tous ses soins sont pour la bagatelle.
Cette idiote entre chez tous les grands,
Elle engendra menins et courtisans;
Son bras hardi changea bien sans scrupule
Un diadème en bonnet ridicule.
Plus d'un pays par elle est gouverné,
Mais son triomphe est surtout dans l'Église :
Tout tonsuré, par elle endoctriné,
Lui fait ses vœux d'éternelle sottise,
D'aveugle foi, d'horreur pour les savants.
Oui, la fortune, en caprices bizarre,
S'y prend si mal, que l'homme de talents
Est très-souvent supplanté par l'ignare;
Chez nous, ailleurs et dans tous les climats,
C'est, en deux mots, l'histoire des Midas.

Fait 1742; corrigé à Potsdam, 12 janvier 1750.

<91>

DISCOURS SUR LA FAUSSETÉ.

Maudit soit le mortel dont la sombre malice
La première eut recours aux traits de l'artifice,
Qui, foulant à ses pieds l'auguste vérité,
Du fard de la vertu couvrit sa fausseté!
De ses yeux clignotants la timide paupière
Ne soutint point l'éclat des feux de la lumière;
Triste ennemi du jour, les ombres de la nuit
Secondaient son dessein par le secret conduit.
Le monde, imitateur de ce coupable exemple,
Laissa la vérité sans culte dans son temple;
Depuis, chez les humains tout parut confondu,
Et le mérite simple au crime fut vendu.
Le fourbe, osant encore aspirer à l'estime,
Usurpa follement le nom d'esprit sublime;
Il resta peu d'amis, et la duplicité,
Adoptant les dehors de la sincérité,
Sous ce déguisement, difficile à connaître,
Confondit l'ami vrai, l'imposteur et le traître.
Elle ose impunément abuser l'univers;
<92>Elle croit que ses traits, loin d'être découverts,
Échappent au public, dupé par sa finesse,
Et sa sécurité se fonde sur l'adresse.
« Il suffit, me disait un jeune homme éventé,
De son esprit brillant fortement entêté,
Il suffit à mes vœux, pour m'assurer de plaire,
De changer à propos d'air et de caractère :
Taciturne, Caton, avec mes bons parents,
Aussi fou que la Lippe92-a avec les jeunes gens,
Quelquefois débitant des propos de morale,
Ou pourceau d'Épicure, en vrai Sardanapale,
Maître de ma personne et sûr de mon maintien,
Pantomime accompli, savant comédien,
De mes fins agréments le public idolâtre,
Docile à mes désirs, s'attroupe à mon théâtre.
Lorsque je tiens à tout, mon cœur ne tient à rien,
Je flatte tout le monde et plais par ce moyen :
Le siècle est fait ainsi; le monde que j'abuse
Prétend être abusé; sa volonté m'excuse.
Je parviens à mon but en me jouant de lui :
On sifflerait partout l'homme franc aujourd'hui,
La simple vérité sent trop l'impolitesse,
La cour a pour l'ouïr trop de délicatesse,
On craint le sobriquet d'honnête homme grossier,
Le courtisan surtout doit faire son métier.
La mode est notre loi; le temps, qui nous consume,
Asservit les vertus et tout à la coutume. »
Quoi! la mode aurait droit de détruire à son gré
<93>Le lien des mortels le plus saint et sacré?
La bonne foi serait sujette à son caprice?
On verrait succomber la vertu sous le vice,
Et le fourbe à ses pieds fouler la probité?
Le monde périrait sans la sincérité.
Toi-même, le premier, que l'erreur environne,
Et qui, sans réfléchir, au crime t'abandonne,
Qu'un scélérat plus fin, pratiquant tes leçons,
Te tende un piége adroit, et, par ses trahisons,
De sa fausse amitié te rende la victime :
Que tu déclamerais alors contre le crime,
Contre la fausseté qui prête à l'ennemi
Les couleurs, les dehors qu'a le sincère ami!
Ah! que tu maudirais ces vaines accolades,
Et ces convulsions de fausses embrassades,
Ces compliments menteurs, ces protestations,
Des sentiments du cœur froides allusions!
Crains d'un perfide ami la douceur affectée :
Dans ses déguisements, c'est un autre Protée,
Sa peau d'agneau te cache un dangereux lion,
Il change de couleurs comme un caméléon.
A quoi connaîtras-tu le motif qui l'inspire,
S'il t'aime, s'il te hait, s'il trame, s'il conspire?
Nous devinons au moins à l'air des animaux
S'ils sont amis de l'homme, ou bien méchants et faux :
Le paisible mouton en bêlant broute l'herbe,
Le lion rugissant paraît fier et superbe,
Le sanglier farouche écume de fureur,
Le lièvre doit surtout sa vitesse à la peur,
Le tigre au regard faux est sanguinaire et traître,
Le chien, qui nous caresse, est fidèle à son maître.
<94>Mais nous, qu'un même auteur doua des mêmes traits,
Nous n'avons dans nos yeux ni vertus ni forfaits,
Un démon peut avoir le corps parfait d'un ange;
A juger des dehors notre esprit prend le change.
Dans ce doute cruel, méfiant, incertain,
Tu te défierais donc de tout le genre humain?
Dans ton humeur chagrine, à bon droit misanthrope,
Fuyant la compagnie et détestant l'Europe,
Et voyant sous tes pas des abîmes ouverts,
Tu trouverais ici l'image des enfers?
Eh quoi! si tu vivais chez des anthropophages,
Pourrais-tu redouter de plus cruels outrages?
Non, tout est confondu dans la société,
Tout périt, en un mot, sans la sincérité.
Comme on voit de joueurs la compagnie inique
Par une volte adroite enfler sa bourse étique,
Par flux ou par reflux, ou dupants ou dupés,
Ainsi nous verrait-on et trompeurs et trompés.
Tu flattes tes défauts, lâche, tu les caresse :
Ah! tremble, malheureux, tu quittes la sagesse.
La fausseté te plaît, redoute ses progrès :
Tu parviendras peut-être au comble des forfaits.
Des vices des humains la nuance est légère,
De l'artificieux le perfide est le frère;
Dans ce dédale obscur, privé de la raison,
Tu pourras t'égarer jusqu'à la trahison.
Ainsi du haut d'un roc à cime blanchissante
Tombe et roule un monceau de neige étincelante;
Son volume s'accroît et grossit en roulant,
Mais sa chute finit enfin en s'écroulant :
Ainsi du premier crime est la suite fâcheuse;
<95>Ce poids, qui nous entraîne en sa course orageuse,
Augmente à chaque instant notre perversité;
Et d'écoliers, docteurs dans la méchanceté,
En étendant partout la pratique des vices,
Nous tombons d'un abîme en d'affreux précipices.
Dans ce monde méchant on ne peut être bon,
Dira du Florentin95-13 le disciple profond;
Entouré de filous, il faut s'armer de ruse,
Qui prétend nous duper mérite qu'on l'abuse;
Et colorant ainsi les vices de son cœur,
Il trouve l'innocence où je vois la noirceur.
Il modela longtemps sa morale farouche
Sur Borgia, Célamar,95-a Mahomet et Cartouche;
Ses mots entortillés ont un sens captieux,
Il est profane un jour, l'autre, religieux,
Et de l'hypocrisie il prend le masque utile,
Pour armer les fureurs du vulgaire imbécile;
Mais dans l'art des fripons ce scélérat savant
Sait cacher sous des fleurs les piéges qu'il nous tend.
Ce n'est que pour un temps que prospère le fourbe :
Son esprit tortueux, fallacieux et courbe,
Toujours obscurément le conduit à son but;
Le prestige finit dès son premier début,
De sa duplicité les ressorts se découvrent,
Le charme disparaît, tous les yeux enfin s'ouvrent.
Qu'il rampe obscurément, en horreur chez les siens,
Parmi le dernier rang des derniers citoyens;
Que ce serpent, couvert d'ordure et de poussière,
Croupisse dans la fange et craigne la lumière.
<96>Maîtres de l'univers, simulacres des dieux,
Vous, qu'un pouvoir suprême éleva jusqu'aux cieux,
Comment tolérez-vous l'infâme politique
Que dans vos cabinets la trahison pratique?
O temps! ô mœurs! ô honte! illustres scélérats!
Le ciel n'a couronné que des princes ingrats.
Ah! si l'honneur était errant, sans domicile,
Il faudrait qu'en vos cœurs il trouvât un asile,
Il faudrait retrouver chez vous la vérité96-a
Et toutes les vertus de la Divinité.
Les princes bienfaisants en sont la vive image;
Mais la duplicité, mutilant leur visage,
De leur couronne arrache un des plus beaux fleurons.
La bonté fait les dieux, le crime les démons :
Choisissez de ces deux, des vertus ou des vices;
Ou soyez nos tyrans, ou soyez nos délices.
Il n'est aucun milieu qui vous semble permis,
Un prince vertueux ne peut l'être à demi;
Un peuple à l'œil de lynx sans cesse vous contemple,
Vos mœurs à l'univers doivent un grand exemple;
Le public trop facile et trop tôt corrompu,
Par la contagion de vos vices imbu,
Sur vos traces .... Mais quoi! j'en dis trop, je m'égare :
Respectons dans nos vers la pourpre et la tiare.
L'honnêteté se peint de différents crayons;
Ce sont des traits de flamme et d'éclatants rayons.
Pour tromper un rival, Mazarin, par finesse,
Voulut charger Fabert d'une fausse promesse;
Mais Fabert refusa ce méprisable emploi :
« Non, pour des vérités, seigneur, réservez-moi;
<97>Quand vous voudrez, dit-il, tenir votre parole,
Pour y donner du poids, commandez, et je vole. »97-a
Modèle des humains, ah! puissé-je en mes vers
Publier tes vertus au bout de l'univers!
Ainsi cet électeur, source de notre gloire,
Aussi grand dans la paix qu'au sein de la victoire,
Dans un jour de combat émule dangereux,
Se montra des Français l'ennemi généreux :
Un scélérat97-14 s'offrit d'assassiner Turenne;
Plein d'horreur du projet, il marque au capitaine
Le sinistre complot qu'un traître osait ourdir :
Je sais vaincre, dit-il, et ne sais point trahir.
La vérité déteste une finesse infâme,
Son discours est pour nous le miroir de son âme;
Elle joint avec art à la sincérité
Les grâces, la douceur, l'antique urbanité.
Ne soutenez donc plus, esprits souillés de crimes,
A qui l'enfer prêcha ses maudites maximes,
Que le grand art du monde est d'être fourbe et fin,
Et que la vérité, fâcheuse au genre humain,
Décrépite harpie, est faite pour déplaire :
Allez, voyez Camas, vous direz le contraire.

Fait 1740, et corrigé à Potsdam 18 février 1750. (Envoyé à Voltaire au
mois de mai 1740, et au comte Algarotti le 19 du même mois.)

<98>

ODE SUR LA GLOIRE.98-15

Un dieu s'empare de mon âme,
Je sens une céleste ardeur,
O gloire! ta divine flamme
M'embrase jusqu'au fond du cœur.
Rempli de ton puissant délire,
Par les doux accords de ma lyre
Je veux célébrer tes bienfaits :
Tu couronnes le vrai mérite,
Et ton divin laurier excite
Les humains à tous leurs succès.

Nos vertus mènent à la gloire,
Et la gloire mène aux vertus;
Elle est mère de la victoire,
Elle déchaîne les vaincus;
Cicéron lui dut l'éloquence,
Sénèque, la vaste science,
Elle forma les vrais Césars.
Sortez des voûtes ténébreuses,
<99>Parlez, ô mânes généreuses!
Qui vous fit braver les hasards?

Déjà je vois des Thermopyles
Les magnanimes défenseurs
S'immolant pour sauver leurs villes
Des ravages de leurs vainqueurs;
Et si leur valeur en impose,
Au nombre leur courage oppose
L'inébranlable fermeté;
Tandis que le fer les abîme,
La vraie gloire, qui les anime,
Leur montre l'immortalité.

Généreux captif de Carthage,
Trop infortuné Régulus,
Victime d'une aveugle rage,
Ou victime de tes vertus,
Exemple illustre de l'histoire,
Plutôt que de trahir ta gloire,
Ta foi, ton honneur, tes serments,
Pour le salut de ta patrie
Tu braves Numance en furie,
Et tu péris dans les tourments.

Quel est ce héros? C'est Eugène,
Ce fortuné triomphateur;
De la victoire qu'il enchaîne
La gloire a partagé l'honneur :
Protectrice de cet Alcide,
Son fantôme brillant le guide
<100>Aux bords du Danube et du Rhin,
Contre l'infidèle en Hongrie,
Dans les champs sanglants d'Italie,
Pour le couronner à Turin.

Enfants des arts et du génie,
Fils de Minerve et d'Apollon,
Qui vous excite et vous convie
De monter sur le double mont?
Parlez, répondez-nous, Homère,
Horace, Virgile et Voltaire,
Quel dieu préside à vos concerts?
Vous aspirez tous à la gloire,
Et pour vivre dans la mémoire,
L'honneur lime et polit vos vers.

Le scélérat au regard louche
Se trompe toujours sur l'honneur;
La gloire à son âme farouche
Paraît un excès de fureur.
Il ne sort point de son ivresse,
Sa raison coupable et traîtresse
Défigure la vérité;
Dans son aveuglement étrange,
Il se croit digne de louange,
Lorsque son crime est détesté.

Qu'un incendiaire, objet de blâme,
Armé d'un flambeau dévorant,
Livre à la fureur de la flamme
Un temple antique et florissant;
<101>Que Thaïs, trop présomptueuse,
Pense de devenir fameuse
En détruisant Persépolis :
Aux fastes sacrés de la gloire,
On noircit les noms et l'histoire
Et d'Érostrate et de Thaïs.

Sors des cendres, Rome païenne,
Viens te reproduire à mes yeux;
Va confondre Rome chrétienne
Et ses prêtres ambitieux;
Du sein de ta vertu féconde,
Oppose les vainqueurs du monde
A tous ces prêtres imposteurs,
A tous ces frauduleux pontifes,
Qui sur des livres apocryphes
Fondent leur culte et leurs erreurs.
O gloire, à qui je sacrifie
Mes plaisirs et mes passions,

O gloire, en qui je me confie,
Daigne éclairer mes actions.
Tu peux, malgré la mort cruelle,
Sauver une faible étincelle
De l'esprit qui réside en moi :
Que ta main m'ouvre la barrière,
Et, prêt à courir ta carrière,
Je veux vivre et mourir pour toi.

Faite en 1734; corrigée à Potsdam en 1750.

<102>

ÉPITRE A CÉSARION.102-16

De ma bavarde poésie
Ne vous lasserez-vous jamais?
Et des camps de la Silésie,
N'attendrez-vous de moi que nouvelles de paix?
Lorsque Mars m'étourdit au son de sa fanfare,
Et que tout ici se prépare
A vider par le fer des illustres procès,
Ma cervelle est assez bizarre
Pour barbouiller ces vers aussi fous que mauvais.
Mais puisqu'enfin de ma folie
Césarion se dit l'aimable protecteur,
Qu'il veut m'ériger en auteur,
Son attente sera punie :
Au lieu de ces beaux vers parfumés d'ambroisie,
D'une détestable liqueur
Je ne vous offre que la lie;
Et, poétique gazetier,
Des nouvelles de ce quartier,
Dans un pompeux amas d'inutiles paroles,
Je veux vous faire ici quelques contes frivoles.
<103>Apprenez donc que nos Césars,
Désœuvrés dans ces champs de Mars,
Ne font que rire, aimer et boire;
Tandis que nos plaisants hussards,
En préludant sur la victoire,
Prennent Mercure pour la Gloire.
S'ils se trompent si lourdement,
C'est qu'ils ne sont pas trop savants,
Peu versés en mythologie,
Guère plus en théologie,
Confondant les biens et les gens.
Tandis qu'engraissés de pillage,
Chez nos rivaux ils font tapage,
Nous demandons de vous, digne suppôt des arts,
Qu'au terme de tous nos hasards,
Vous nous conduisiez vers ce temple
Où l'étranger surpris contemple
Toute la grandeur des Romains
Dans leurs plus florissants destins,
Dans cette salle orbiculaire,
La basilique et sanctuaire
Des voluptés et des plaisirs,
Où nous entendrons les soupirs
De la touchante Melpomène,
Où nous verrons tout le domaine
Et des Muses et d'Apollon.
Dans l'opéra ce dieu fera le violon,
Il daignera lui-même inspirer l'harmonie
Et soutenir la mélodie;
Du chant, des instruments il unira le son
Au charme d'une voix sonore;
<104>De plus, il daignera nous enrichir encore
En y joignant l'illusion
Que met la décoration
A la danse de Terpsichore.
Là, n'ayant plus chargés les bras
Des héroïques embarras
Qui me font grisonner la tête,
Oubliant le dieu des combats,
Nous pourrons célébrer la fête
De Cypris et du tendre Amour.
Les cœurs seront notre conquête,
Le cul d'Églé, notre tambour,
Et les Grâces seront de jour;
Les bouteilles seront nos armes,
Les myrtes seront nos lauriers,
Et les bacchantes nos gendarmes.
Les lits seront témoins de nos exploits guerriers;
De plus, la bahoute104-a et le masque
Pourront nous tenir lieu du casque;
De légers escarpins serviront de coursiers.
Dans ce nouveau palais104-17 de noble architecture,
Nous jouirons tous deux de la liberté pure,
Dans l'ivresse de l'amitié;
L'ambition, l'inimitié,
Seront les seuls péchés taxés contre nature;
Le culte ne s'adressera
Et notre encens ne fumera
Que sur les autels d'Épicure.
Tandis que je vous fais cette aimable peinture
<105>Des plaisirs dont nous jouirons,
Vous languissez dans les prisons
Du terrible dieu d'Épidaure.
A ses prêtres, vos assassins,
Par erreur nommés médecins,
Si vous voulez guérir encore,
Faites prendre tous les matins
Double portion d'ellébore;
Alors, quand le triste Orion
Sur nos champs dépouillés de la moisson nouvelle
Enverra par les vents et la neige et la grêle,
Vous verrez, cher Césarion,
Dans les murs de notre Ilion
De retour votre ami fidèle.

<106>

AUX MANES DE CÉSARION.106-a

Qu'entends-je, juste Dieu! Quelle affreuse nouvelle!
Césarion n'est plus! le livide trépas
Tranche, de sa faux cruelle,
Le fil de ses beaux jours, ses charmes, ses appas!
Quel affreux désespoir! Ami tendre et fidèle,
Je sens mille poignards qui me percent le cœur;
Ah! ce cœur déchiré palpite de fureur.
Tu n'es plus! c'en est fait, ma perte est éternelle.
Mon amour, qui te suit jusqu'aux bords du néant,
Au delà du trépas te respecte et t'honore;
Oui, je t'estimai vivant,
Et je te chéris encore.
Tu vis, sans t'ébranler, la mort qui nous détruit;
Dans ce moment affreux dont frémit la nature,
Ton courage étonnant te soutient, te conduit,
Et ton âme juste et pure
Méprisa des enfers la frivole imposture
Et les sombres terreurs d'un avenir fortuit.
<107>Si, durant tes beaux jours, tu suivis Épicure,
Par un généreux effort
Tu surpasses Zénon au moment de la mort.
Hélas! qu'est devenu ce cœur si magnanime,
Cet esprit tendre et sublime?
Vit-il encor? n'est-il plus?
Grand Dieu! quel affreux abîme!
Tout est anéanti, l'esprit et ses vertus :
S'il respirait encor, son ombre ou sa pensée
De l'empire des morts se serait élancée
Vers le séjour des vivants,
Pour soulager mes tourments.
Ah! triste souvenir! regret plein d'amertume!
Stoïcisme insensé, vainement tu présume
De garantir l'esprit contre les coups du sort.
J'ai cru mon âme impassible,
A tout malheur insensible;
Je suis détrompé : ta mort.....
dotted>
Juste Dieu! quel coup terrible!
Ciel! ma douleur mortelle et m'égare et me perd.
Grand Dieu! ton moment suprême....
Dans ce désespoir extrême,
Ma raison inutile en de si grands revers,
Conspirant contre moi-même,
Rend mes chagrins plus amers.
Hélas! j'ai tout perdu, je perds l'ami que j'aime,
Je reste seul, sans toi, dans ce vaste univers;
Ces jours sont écoulés comme des ombres vaines,
Où nos deux cœurs unis, ne formant qu'un seul cœur,
S'entre-communiquaient leurs plaisirs et leurs peines,
Et ne pouvaient jouir que d'un même bonheur.
<108>Entre nous aucun partage,
Même goût et même usage,
Notre tendre amitié nous rendait tout commun;
Jamais froideur ni nuage
Ne put exciter l'orage
D'un démêlé importun.
Les Jeux et les Plaisirs t'accompagnaient sans cesse,
Et ton esprit, nourri des plus galants écrits,
Avait l'art d'ennoblir par sa délicatesse
Les bruyants transports des Ris.
Digne par ta politesse
D'être mis au niveau des célèbres esprits
Dont s'applaudissait la Grèce,
Ou dont se vante Paris;
Plus digne par ton cœur d'occuper une place
Chez le peu de héros connus par l'amitié!
Si je pouvais jouer de la lyre d'Horace,
Je ferais retentir les échos du Parnasse
Des regrets de ce cœur toujours au tien lié.
Je dirais que tu surpasse
Achate et Pirithoüs,
Pylade, Oreste et Nisus.
J'immortaliserais, dans l'ardeur qui m'enflamme,
Les éclatantes vertus
Qui brillaient dans ta belle âme.
Mais, Dieu! je vois le jour, et tu ne le vois plus!
Il n'est donc que trop vrai, la mort inexorable
Ravit également le vulgaire hébété
Et l'homme le plus aimable.
Elle n'épargne rien, vertu ni dignité;
Sur les rives du Cocyte
<109>Il n'est vice ni mérite;
Ce qui n'est plus n'a qu'été;
J'y vois dans l'égalité
Hector, Achille et Thersite.
Vers ce séjour obscur j'avance promptement,
Mes heures et mes jours volent rapidement;
Ma carrière, au delà de la moitié remplie,
Me présente sa sortie.
Dans peu je te joindrai dans ton noir monument;
Là, dans cet asile sombre,
Je veux m'unir à ton ombre
Et la chérir constamment.
Tandis que le destin m'arrête dans ce monde,
Plein de ma douleur profonde,
Portant au fond du cœur l'empreinte de tes traits,
Nul bonheur ne pourra diminuer ma plainte.
Sous tes funèbres cyprès,
J'irai sur ta cendre éteinte
Renouveler mes regrets,
Mon désespoir, mes alarmes,
Te vouer ces soupirs pour moi si pleins de charmes,
Mes tendres vers et mes pleurs,
Et joncher ton tombeau des myrtes et des fleurs
Qu'auront arrosés mes larmes.
Qu'heureux est le mortel qui peut d'un front serein
Voir de l'affreux trépas les cruelles approches,
Et qui subit son destin
Sans terreur et sans reproches!

<110>

A LA BARONNE DE SCHWERIN, SUR SON MARIAGE AVEC LE SCHULTHEISS LENTULUS.110-a

Daignez recevoir ce fromage
Comme un prémice de l'hommage
De messieurs les Treize Cantons.
Il est vrai, très-peu nous pensons;
Mais lorsque notre âme sommeille,
L'amour en sursaut la réveille.
Oh! pour l'amour, nous le sentons;
Aussi nous nous réjouissons
De ce qu'en ce jour d'allégresse,
Lentulus vous fera Suissesse.
Suissesse est un titre d'honneur,
Il vaut mieux que celui d'abbesse,
<111>D'Excellence, de Votre Altesse;
Bien en voudraient de tout leur cœur,
Qui, s'il leur plaît, n'en tâtront guère,
Car jeune Suisse en sa vigueur
Vaut mieux que prince octogénaire.
Mais pour vous, gardez-vous-en bien,
De vieillir dans ce beau lien;
Et comme en Suisse on vous marie,
De votre nouvelle patrie
Il est temps de savoir les lois.
Sachez donc qu'aux beautés aimables
Qui, par leurs charmes adorables,
Subjuguent et bergers et rois
Nos Suisses galants et affables
Ont constaté les plus beaux droits.
Tout lourds et grossiers que nous sommes,
Il n'est point, parmi tous les hommes
Des pantins ou Topinamboux,
En fait de preuves de tendresse,
En fait de fidèles époux,
Exceptez-en la politesse,
De plus parfaits maris que nous.
Mais lorsqu'une femme ou maîtresse
Sent de la caduque vieillesse
Sur elle appesantir les coups,
Alors, pour comble, sa tristesse
N'a d'hommages que nos dégoûts.
Des yeux rouges, comprenez-vous?
Peau tannée et gorge flétrie,
Cheveux grisons, branlantes dents,
Dos convexe et genoux tremblants,
<112>Sont des meubles de friperie
Qui ne trouvent plus de chalands
Dans toute notre Suisserie.
Eussiez-vous cent fois plus d'appas
Que Vénus n'en eut en sa vie,
Que l'amante de Ménélas,
Ou la bonne dame Marie,
Ah! ce qui n'est plus, on l'oublie,
Vieille, vous ne nous plairez pas;
C'est pis encor, car la police
Et la vénérable justice
Très-vivement vous poursuivront,
Et gravement vous soutiendront
Que par infernale malice
Vous voilà dans la vétusté.
Ah! que d'esprits profonds, en Suisse,
En physique, en moralité!
Ils disent : La malignité
Des femmes fait le caractère;
D'où vient qu'une jeune beauté
Devient une vieille sorcière?
Ceci bien plus vous surprendra :
Chez nous on ne vit, ni verra
De radoteuse ridicule;
Dès que jeunesse abandonna
Personne qui la posséda,
Sitôt la justice la brûle
Sans repentir et sans scrupule,
Car chez nous sorcières on a,
Et, je crois, tant on brûlera,
Qu'un jour à Zug ou bien à Berne
<113>Vos divins charmes on verra;
Alors dans le fond de l'Averne
Sorcières on reléguera,
Et désormais plus n'y croira.
Oui, par vous la Suisse embellie
Reviendra de son erreur;
En abjurant son hérésie,
Et chantant la palinodie,
Elle avouera de tout son cœur
Qu'il n'est d'autre sorcellerie,
Ni de prestige suborneur,
Que la séduisante magie
Des yeux de ce sexe vainqueur.

<114>

STANCES CONTRE UN MÉDECIN QUI PENSA TUER UN PAUVRE GOUTTEUX A FORCE DE LE FAIRE SUER.

Je chante la palinodie,
Il faut publier en tout lieu,
En admirant la pharmacie,
Qu'Hippocrate est un puissant dieu.

De ce dieu le pouvoir énorme
A fait un prodige nouveau :
Voyez mon corps qui se transforme,
Et s'écoule comme un ruisseau.

Déjà je deviens une source,
Et serpentant sur ce limon,
Je veux atteindre, dans ma course,
Ce beau fleuve dans ce vallon.

Oui, là mes ondes amoureuses
Iront se mêler pour toujours
Aux ondes pures et fameuses
Du fleuve, objet de mes amours.

<115>Là, soit qu'il passe une prairie,
Ou qu'il parcoure des climats
Plus arides que la Libye,
Je ne l'abandonnerai pas;

Soit enfin qu'il se précipite
Du haut des monts en écumant,
Ou bien qu'il dirige sa fuite
Vers l'insatiable Océan;

Soit qu'en sa course vagabonde,
Un monarque, enchaînant ses eaux,
A force d'art gêne son onde
De jaillir en divers jets d'eaux :

Ce me sera la même chose,
Et je bénirai les destins
De ce que ma métamorphose
Me garantit des médecins.

(Envoyées à Voltaire le 10 juin 1749.)

<116>

LE MIRACLE MANQUÉ, CONTE.

Je veux chanter sur ma vielle profane
Un conte vrai qui surpasse Peau-d'âne.
Objets usés que nos tendres aïeux
Trouvaient si beaux, à présent chassieux,
Je vous implore, éternelles grand'mères
Que chaque hiver assemble autour des feux,
Dignes suppôts des contes merveilleux.
Et vous aussi, mesdames les sorcières,
Dans ce beau champ conduisez-moi des yeux;
Et vous surtout dont l'art et la puissance
Força l'enfer, et frappa dans Endor116-a
Les yeux d'un roi, par un prophète mort.
Messieurs les saints, souffrez par bienséance
Que je vous place ici selon le tour.
O vous, des cieux les sombres interprètes,
<117>Doubles fripons, menteurs et pis, prophètes,
Enseignez-moi les captieux discours
Dont vous saviez fabriquer vos oracles;
Je dois ici célébrer les miracles
D'un preux cafard, cagot et triple saint,
Vieux vétéran, maquignon de Calvin.
Les vents fougueux déchaînés en barbares,
Fabricateurs de rhumes et catarrhes,
Vinrent, l'hiver, répandre sur Berlin,
A droite, à gauche, énormes maladies,
Et, peu touchés de l'amour du prochain,
Distribuaient nombre d'apoplexies.
La Faculté, maudissant leur essaim,
Laissait mourir et perdait son latin;
Tous les quartiers chantaient leurs élégies,
Invectivant Éole et le destin.
Dans les douceurs d'une paix fraternelle,
Gromaticus117-a vivait avec deux sœurs
Qui du beau temps fabriquaient la nouvelle,
Faisaient par an deux almanachs menteurs
Où se trouvait l'histoire peu fidèle
Ou bien plutôt l'impertinent roman
Des grands flambeaux cloués au firmament.
Gromaticus, docteur d'astrologie,
Du bon Phébus faisait le substitut,
Et, renommé savant dans la magie,
<118>De chaque fou recevait le tribut,
Seul revenu dont longtemps il vécut,
Lorsque la mort, qui faisait sa récolte,
En tapinois sur-le-champ l'accola,
Subitement, en un seul tour de volte,
Sur le carreau roide mort le coucha.
D'abord, grands cris; ses bonnes sœurs pleurèrent,
Et de leurs voix si fortement hurlèrent,
Qu'à ce grand bruit leurs voisins s'éveillèrent.
Un peuple entier chez le mort s'assembla;
Les plus sensés point on ne consulta,
Mais seulement les duègnes, les commères,
Qui, décidant de toutes les affaires,
Sur certain cas très-expertes, dit-on,
Quoique manquant de rime et de raison.
Dans cette foule, et parmi le tumulte
D'un grand concours de peuple curieux,
Parait soudain une figure occulte,
A l'œil hagard, à l'air fastidieux,
Bouche béante et face triste et sombre.
Du noir enfer semblait sortir cette ombre;
Chacun le prit pour un magicien,
Pour un démon, pour un antichrétien.
L'aurait-on cru? ce farfadet sinistre,
A large audace, à rabat de ministre,
Était, dit-on, grand théologien.
D'abord, du mort les deux sœurs l'entourèrent,
De les aider humblement l'invoquèrent;
Sur quoi rêvant, le bon prélat enfin,
Sans autre avis, résolument décide
Qu'en invoquant le céleste Dauphin,
<119>On nourrira ce cadavre livide
De restaurants, de bouillons et de vin,
Le piquera par une cantharide,
Pour rappeler son esprit clandestin.
« Je vais, dit-il, confondre l'incrédule,
Et l'esprit fort, encor plus ridicule;
Ces scélérats crèveront de chagrin,
Voyant le mort ressusciter demain. »
L'invention fut partout applaudie,
Et tout s'empresse alors dans la maison :
L'une à la hâte apporte l'eau d'Hongrie,
L'autre, en courant, du baume d'Arabie,
Là, près du feu, on réchauffe un bouillon.
Dans la maison c'était beau carillon :
Tous les parents chez le mort s'empressèrent,
Si rudement des coudes se choquèrent,
Qu'à terre on vit sauter plus d'un flacon,
Et qu'en leurs mains maints verres se brisèrent.
Comme au rivage on voit après le flux
Dans peu de temps succéder le reflux,
On vit ici se presser par la porte
D'un peuple fou la nombreuse cohorte;
Il entre, il sort, et par le défilé,
Lassé de voir, il s'était écoulé.
Le saint alors dévotement s'avance :
« Ne perdez point, leur dit-il, patience,
Tout doit à gré dans peu nous réussir;
Pour le présent, laissons, par bienséance,
Au pauvre mort le loisir de dormir;
Sortons, demain il faudra revenir. »
Après qu'au mort on eut ouvert la bouche,
<120>Et que sa sœur, bonne et sainte Mitouche,120-a
L'eut abreuvé d'un bouillon restaurant,
Chacun s'en fut, rempli de ce spectacle,
Et curieux de l'inouï miracle
Qu'opérerait ce pieux charlatan.
Ce jour enfin pour leurs souhaits arrive.
Avant qu'un coq eût chanté le matin,
Des bons parents la troupe fugitive
Vint promptement retrouver leur cousin.
On le revit, hélas! toujours de même,
Roide, immobile et le visage blême;
Le saint revint, et fortement promit
Que, par l'effet de son pouvoir suprême,
On reverrait le mort sortir du lit;
Sur quoi d'abord nouveaux bouillons on fit.
Enfin, depuis, huit jours on attendit;
Point de miracle; on attend le quinzième;
En espérant on va jusqu'au vingtième;
Mais pas un mot que le bon saint leur dit,
Pour le malheur du mort, ne s'accomplit.
Et quelle fut l'abattement énorme,
Lorsque, voulant juger du fait en forme,
Jusques au fond le cas s'approfondit!
Quelqu'un du mort leva la couverture;
Ciel! il sentit .... fais-en la conjecture,
Ami lecteur; je sais que tu m'entends,
Et volontiers de cette idée impure
<121>Je veux ici t'épargner la peinture.
Bref, on vit bien qu'il était enfin temps
Que le bon mort fût mis en sépulture,
Et le cafard, malheureux en augure,
Devint, depuis, la fable des parents.
Lorsqu'une fois on est en train de croire,
L'esprit se plie à toute absurdité;
La fable alors passe pour vérité,
Et le mensonge est égal à l'histoire;
On s'étourdit, on reçoit toute erreur
Qu'un cerveau creux engendra par boutade :
Quand une fois le bon sens bat chamade,
Adieu raison, à jamais serviteur!

Corrigé à Potsdam, 28 octobre 1749. (Envoyé à Voltaire le 3 mai, à Algarotti
le 19 mai 1740.)

<122>

LE SERIN ET LE MOINEAU, FABLE.

On se fait des grandeurs une très-fausse idée,
Les estime le plus qui les connaît le moins;
Telle âme, de leur soif se trouvant possédée,
Perd, pour les acquérir, et son temps et ses soins.
Dans tous les états de la vie
On trouve du haut et du bas;
Un tel, dont le bonheur inspire de l'envie,
Se plaint de ce qu'il ne l'a pas.
Écoutez sur ceci le conseil charitable
Qu'osent vous indiquer les oiseaux de ma fable.

Un jour, dans un grand bourg, certain moineau banal,
Des plus galants moineaux redoutable rival,
Le plus estimé chez les belles,
Galant, joli, coquet un brin,
Volait de ses rapides ailes
A l'entour d'un château flanqué de deux tourelles,
Palais du seigneur suzerain.
<123>Il aperçoit au fond d'une gentille cage,
Juché dessus son bois, un merveilleux serin,
Qui le charma par son ramage.
« Hélas! se disait-il, du peuple des oiseaux,
Au beau serin échut le meilleur apanage :
A l'abri des saisons, à l'abri de l'outrage,
Logé comme un seigneur, il ignore mes maux;
Tandis que, mouillé par l'orage,
Je grelotte sur des roseaux,
Il vit en très-grand personnage,
Il se mire dans des trumeaux,
Son bon maître l'aime à la rage,
Il le nourrit de sucre ou d'excellent biscuit.
Tandis qu'en ce maudit village
A coups de feu l'on me poursuit,
Que j'erre comme un misérable,
De cent caresses on l'accable.
Sort cruel, où m'as-tu réduit?
Que ne suis-je né son semblable! »
Notre gentil serin, quoique sans truchement,
Comprit maître moineau, je ne sais trop comment.
Un serin du bel air, qui vit dans le grand monde,
Fût-il même tant soit peu sot,
Doit deviner à demi-mot
Les autres oiseaux de la ronde.
Il répondit au gros moineau,
Dans son dialecte d'oiseau :
« Ami, ta cervelle est timbrée,
Tu parle avec esprit, mais tu raisonnes mal.
Ma cage richement dorée
Te rend en secret mon rival;
<124>Ah! dans la plus superbe cage,
Ces fers et ma captivité
Me font sentir le poids d'un pénible esclavage.
Que m'importe la vanité?
Sois satisfait de ton partage :
Point de bonheur sans liberté. »

<125>

ÉPIGRAMME I.

Chez un malade on mande un assassin;
Il le tua, c'est la vieille coutume.
Mais sur ceci, ce qu'aucun ne présume,
C'est que d'effroi mourut le médecin.

<126>

ÉPIGRAMME II.

Auguste fait dans huit jours banqueroute,126-a
Disait à Dresde un jeune gars français.
On répondit : « Vous n'y voyez donc goutte?
Ah! pour du mal, le Roi n'en fit jamais;
Mais c'est son page et son vilain laquais. »126-b

<127>

ÉPIGRAMME III.

Un vieux soudard, revenant de campagne,
Trouva chez lui sa fidèle compagne
Qui, dans ce temps seule toutes les nuits,
Fit un poupon pour charmer ses ennuis.
Sur quoi le gars dans la maison à bruire,
Quand sa Junon, qui savait le conduire,
Lui dit : « Pourquoi tous deux nous quereller?
Lorsque, suivant ta rage furibonde,
Tu travaillais à détruire le monde,
N'ai-je raison, moi, de le repeupler? »

<128>

ÉPIGRAMME IV.

Certain quidam qui n'était déniaisé
S'écriait : « On me déshonore!
Ah! je suis actéonisé
Par ma femelle, que j'abhorre. »
Un sien ami, d'un air rêveur,
Lui dit : « Va, prends de l'ellébore,
D'être cocu n'est pas si grand malheur;
Tu méritais peut-être pis encore :
Où diable aussi places-tu ton honneur? »

<129>

ÉPIGRAMME V.

Un monstre féminin, fléau de son mari,
L'avait persécuté du jour qu'il l'avait pris
Jusqu'au jour que la mort un beau matin l'eut frite.
Le veuf s'en désespérait fort;
Ses amis lui disaient : Vous la pleurez à tort.
- C'est que je crains, dit-il, qu'elle ne ressuscite.

<130>

ÉPIGRAMME VI.

Un Ottoman ambassadeur
Vint, de la part du Grand Seigneur,
A Vienne, cour très-haut huppée.
Des présents leur fit par honneur :
Il donna, je crois par erreur,
A l'Impératrice l'épée,
Et la quenouille à l'Empereur.


102-16 Faite en 1741. [Voyez t. X, p. 24, et ci-dessus, p. 36.]

104-17 Charlottenbourg. [Voyez t. VII, p. 40.]

104-a Voyez t. X, p. 199.

106-a Didier baron de Keyserlingk, surnommé Césarion par Frédéric, mourut à Berlin le 13 août 1745.

110-a Cette poésie fut présentée à Marie-Anne de Schwerin, fille du défunt ministre d'Etat Frédéric-Bogislas de Schwerin, le 17 janvier 1748, jour de son mariage avec le major et aide de camp baron de Lentulus, par treize Suisses en costume national, avec un fromage d'une grosseur extraordinaire. Le baron de Lentulus (voyez t. IV, p. 176) était lieutenant-général lorsqu'il quitta le service du Roi, le 13 décembre 1778; il mourut à Monrepos près de Berne, le 26 décembre 1786. Il est nommé ici par plaisanterie Schultheiss (avoyer). C'est le titre que l'on donnait à Berne au premier fonctionnaire de la république.

116-a I Samuel, chap. 28, versets 7-19.

117-a Le 8 mars 1740, l'astronome Kirch fut frappé d'une attaque d'apoplexie dont il mourut le lendemain, âgé de quarante-cinq ans. Son cadavre offrit un singulier phénomène : c'est que, ses trois sœurs ne pouvant se résoudre à lui donner la sépulture avant qu'on y aperçût des signes de corruption, il se conserva trois semaines, sans qu'on pût y en découvrir de sensibles. Il est vrai que le froid excessif qui avait régné pendant le grand hiver durait encore au mois de mars. (Formey) Histoire de l'Académie des sciences. Berlin, 1752, in-4, p. 65.

120-a Sainte Mitouche est un personnage de la Pucelle de Voltaire (V, 21), qui a mis sous le texte la note suivante : « On disait autrefois sainte n'y touche, et on disait bien. On voit aisément que c'est une femme qui a l'air de n'y pas toucher; c'est par corruption qu'on dit sainte Mitouche. » L'expression usitée aujourd'hui est sainte nitouche.

126-a Voyez ci dessus, p. 8.

126-b Les comtes de Brühl et de Hennicke. Voyez t. II, p. 29, et t. III, p. 183.

79-a Voyez t. X, p. 43, et ci-dessus, p. 36 et 54.

80-a Voyez Œuvres de Voltaire, édit. Beuchot, t. XII, p. 515.

81-a Voyez t. VIII, p. 54-56, t. X, p. 75 et 255, et ci-dessus, p. 34 et 58.

82-11 Cardinal Fleury, mort alors.

82-12 Il avait l'inspection des universités, de la maison de travail et de la maison des fous.

82-a Une comète avait été dans son périhélie en janvier 1743.

82-b Oraison funèbre de Monseigneur le cardinal de Fleury, prononcée le 25 mai 1743, par le R. P. de Neuville. A Paris, 1743. Voyez t. X, p. 250.

83-a Les Topinamboux, peuplade indienne nombreuse et guerrière, habitant une grande partie du Brésil. Le Roi emploie ici ce nom comme synonyme de sauvage.

85-a Schah-Baham est le personnage principal du Sofa, conte moral, 1745, de Crébillon fils, qui, dans son Introduction, l'appelle « prince ignorant et d'une mollesse achevée. »

90-a Voyez t. II, p. 155 et 156; t. III, p. 8 et 9; et t. X, p. 145 et 146.

90-b Voyez t. III, p. 108.

90-c Voyez t. II, p. 144.

92-a Albert-Wolfgang comte de Schaumbourg-Lippe, né en 1699, mort en 1748. Depuis 1738 jusqu'en 1740 il entretint des relations intimes et une correspondance très-amicale avec Frédéric, alors prince royal.

95-13 Machiavel.

95-a Le prince Cellamare. Voyez t. I, p. 163.

96-a Voyez t. IV, p. 124, et t. VIII, p. 135.

97-14 Ce malheureux s'appelait Villeneufve. [Voyez t. I, p. 81.]

97-a Voyez t. VIII, p. 136 et 137.

98-15 Faite en 1734. [Voyez t. X, p. 79-90.]