305. A VOLTAIRE.330-a
(Février) 1752.
J'ai cru d'un jour à l'autre vous voir arriver ici, ce qui m'a empêché de vous remercier plus tôt de l'Histoire de Louis XIV, que j'ai à présent quadruple. Pour bien suivre l'art dont vous avez fait cet extrait, je lis la première partie avec le commentaire de Quincy, ce dictionnaire de batailles et de siéges; et j'attends à votre retour à vous en dire mon sentiment. Mon impatience m'a fait lire le second volume en même temps; et, à vous dire le vrai, je le trouve supérieur au premier, tant par la nature des <290>choses que par le style et cette noble hardiesse avec laquelle vous dites des vérités jusqu'aux rois. C'est un très-beau morceau, et qui doit vous combler d'honneur. La mort de madame Henriette330-b fera qu'on jouera votre Rome sauvée plus tard que vous ne l'aviez cru.330-c Je suis malade depuis huit jours d'un rhume de poitrine et d'une ébullition de sang; mais le mal est presque passé. Je ne fais que lire, je n'écris plus; quand on a la mémoire aussi mauvaise qu'est la mienne, il faut de temps en temps relire ce qu'on a lu pour s'en rappeler l'idée, et pour bien savoir ce qui en vaut la peine. Ensuite de cela, je recommencerai à corriger mes misères. Votre feu est pareil à celui des vestales, il ne s'éteint jamais; le peu qui m'en est tombé en partage veut être attisé souvent, et encore est-il souvent près d'étouffer sous les cendres. Adieu. Ne pensez pas qu'il y ait plus de chênes que de roseaux dans le monde; vous verrez périr bien des personnes à vos côtés, et vous en surpasserez encore plus par votre nom, qui ne périra jamais.
330-a Cette lettre est tirée du Supplément aux Œuvres posthumes, t. II, p. 383, et nous l'avons corrigée d'après l'autographe, dont feu M. Jean-Guillaume Oelsner, de Breslau, nous avait fourni une exacte copie.
330-b Anne-Henriette, fille de Louis XV, née en 1727, morte le 10 février 1752.
330-c Rome sauvée fut représentée à Paris le 24 février.