<298>vraient tranquilles dans la même ville; je crois qu'il ne faudrait pas citer des gens de lettres pour vivre tranquilles ensemble. Remarquez que de querelles dans l'Académie des sciences de Paris pour Newton et Des Cartes, et dans celle d'ici pour et contre Leibniz. Je suis sûr qu'Épicure et Protagoras se seraient disputés, s'ils avaient habité le même lieu; mais je crois de même que Cicéron, Lucrèce et Horace auraient soupé ensemble en bonne union. Je vous demande pardon des remarques que mon ignorance s'émancipe de vous faire; je suis comme la servante de Molière, qui, lorsqu'elle ne riait pas, faisait changer ses pièces au premier auteur comique de l'univers.
315. AU MÊME.a
(1752.)
La nature pour moi plus marâtre que mère,
Ne m'a point accordé le don
D'entonner au sacré vallon
Les chants mélodieux de Virgile et d'Homère;
Et, lorsqu'elle doua Voltaire
D'un plus vaste génie et des traits d'Apollon,
Me laissant un regard sévère,
Elle me donna la raison.
C'est mon lot que cette vieille raison, ce bon sens qui trotte par les rues. Il peut suffire pour ne pas se noyer dans la rivière quand on voit un pont sur lequel on peut la passer. Ce bon sens est ce qu'il faut pour se conduire dans la vie commune; mais cette même raison, qui m'avertit d'éviter un précipice quand j'en vois un sur mon passage, m'apprend à ne point sortir de ma sphère et à ne point entreprendre au-dessus de mes forces. C'est pourquoi, en me rendant justice, et en avouant que mes vers
a Supplément aux Œuvres posthumes, t. II, p. 379 et 380.