441. DE VOLTAIRE.
Ferney, 21 août 1771.
Sire, Votre Majesté va rire de ma requête; elle dira que je radote. Je lui demande une place de conseiller d'État. Ce n'est pas pour moi, comme vous le croyez bien, et je ne donne point de conseils aux rois, excepté peut-être à l'empereur de la Chine. Je m'imagine d'ailleurs que M. de Lentulus appuiera ma requête. C'est pour un banneret ou banderet de votre principauté de Neufchâtel, nommé Osterwald, qui est persécuté par les prêtres. Il a servi longtemps V. M., et je crois qu'il est excommunié.
Voilà deux puissantes raisons, à mon gré, pour le faire conseiller d'État. Cet homme est d'un esprit très-doux, très-conciliant et très-sage, et en même temps d'une philosophie intrépide, capable de<226> rendre service à la raison et à vous, et également attaché à l'un et à l'autre. Il est de votre siècle, et les Neufchâtelois sont encore du treizième ou du quatorzième. Ce n'est pas assez que la prêtraille de ce pays-là ait condamné Petitpierre pour n'avoir pas cru l'enfer éternel; ils ont condamné le banderet Osterwald pour n'avoir point cru d'enfer du tout. Ces marauds-là ne savent pas que c'était l'opinion de Cicéron et de César. Vous qui avez l'éloquence de l'un, et qui vous battez comme l'autre, ne pourriez-vous point mortifier la huaille sacerdotale en réhabilitant votre banderet par une belle place de conseiller d'État dans Neufchâtel?
Le grand Julien, mon autre héros, lui aurait accordé cette grâce, sur ma parole.
Je vous demande pardon de ma témérité; mais, puisque ce banderet Osterwald est menacé par le consistoire d'être damné dans l'autre monde, ne peut-on pas demander pour lui quelque agrément dans celui-ci? Cette idée m'est venue dans la tête, et je la mets à vos pieds. Je pense que ce banderet a très-grande raison de dire qu'il n'y a plus d'enfer, puisque Jésus-Christ a racheté tous nos péchés.
On dit que mes chers Russes ont été battus par les Turcs; j'en suis au désespoir, et je supplie V. M. de daigner me consoler.