ÉPITRE IV. A LA COMTESSE DE CAMAS.23-a
Ne pensez point, respectable Camas,
Qu'à votre esprit si brillant, si solide,
J'ose jamais comparer les appas
De nos oisons à la cervelle vide :
Fraîche jeunesse et des traits de beautés
Leur tiennent lieu de toutes qualités.
Ce sont des fleurs dont la couleur brillante
A de durée à peine une saison;
Un souffle chaud dans le brûlant Lion
Fane à jamais leur beauté ravissante.
N'ont-elles plus leur couleur éclatante,
Pour les cueillir ou pour les arroser
Aucun passant ne daigne se baisser.
<24>L'esprit, le goût et le bon sens préfère
A la beauté l'esprit qui nous éclaire :
On trouve en vous ces trésors réunis;
Votre raison, de cent talents douée,
Est douce, humaine et toujours enjouée.
Oui, votre esprit est de tous les pays,
De tous les temps et de toutes les heures;
Vous méritez d'avoir de vrais amis,
Et, par delà, des fortunes meilleures.
Vos cheveux gris ne sont point décorés
De cent pompons, de rubans, de parure,
Et votre corps n'est point à la torture
Dans des paniers immenses et dorés;
Mais vous cachez dessous votre coiffure
Esprit qui plaît et ce mâle bon sens
Hélas! si rare et si digne d'encens.
Tant d'agréments suppriment la vieillesse :
Fades beautés, qu'avez-vous d'approchant?
Vos beaux minois, parés de la jeunesse,
Vont débiter des riens en ricanant;
Vous nous lorgnez, pour plaire, en minaudant,
Dans la beauté tout paraît gentillesse;
Mais, le dirai-je à mon corps défendant?
Autant vaudrait, pour le moins à la vue,
De Bouchardon24-a une belle statue.
Ah! si le ciel, secondant vos amours,
Vous eût rendu dès le berceau muettes,
Ou qu'il eût fait de vos amants des sourds,
<25>En cas pareil, nos flammes indiscrètes
Auraient au moins longtemps pu soupçonner
Que vos esprits ont le don de penser;
Mais à présent, tant causeuses vous êtes,
Qu'un froid mortel commence à me geler
Dès le moment qu'on vous entend parler;
Tous les progrès que vos mines coquettes
Et vos attraits avaient faits sur mon cœur
Par vos propos perdent de leur chaleur.
Le jeu, pompons, coiffures, médisances,
Contes forgés, mille fadeurs d'amours,
Assaisonnés de cent impertinences,
C'est l'abrégé de tout votre discours.
Quand il vous plaît à l'esprit de prétendre,
Alors vraiment il fait beau vous entendre;
Je crois revoir ces plats originaux,
Tympanisés de femelles pédantes,
Sans jugement, affichant les savantes,
Que nous peignit de ses maîtres pinceaux
Le grand Molière en ses pièces charmantes,
Où sa critique, enfantant des bons mots,
En mille endroits a foudroyé les sots.
Tremblez, tremblez, bégueules insipides :
La beauté passe et l'âge arrivera,
Qui, sillonnant vos fronts flétris de rides,
Tous vos attraits à jamais détruira.
Miroir chéri, lorsque tu leur rendra
Des teints plombés, des visages livides,
Des yeux éteints, des paupières humides,
Bouche sans dents et cheveux grisonnants,
<26>Dans la fureur qu'auront ces Euménides,
Ta glace, hélas! dans leurs emportements,
Sera brisée en mille fraguements.
Ah! quel dépit! ce teint plus beau qu'albâtre
Se jaunira; plus de roses, de lis,
Ni plus d'amant de charmes idolâtre;
Vieilles laidrons n'ont plus de beaux Tircis.
En vain tout l'art raffiné des ruelles,
Pompons brillants, mêlés de fleurs nouvelles,
Pareront-ils vos attraits surannés;
L'ajustement et les atours des belles,
Bien loin d'orner vieilles sempiternelles,
Semblent jurer avec des fronts fanés.
L'amour coquet qui plane sur vos têtes,
Qui vous protége aux bals, soupers et fêtes,
Qui de vos yeux nous décoche ses traits,
De ces beaux yeux s'enfuira pour jamais.
Jeune beauté paraît toute adorable,
Vieille guenon du public est la fable.
De vos vieux jours je plains l'affliction :
Il n'est alors aucun moyen de plaire,
Hors que ce soit la conversation;
Mais sans esprit comment y brille-t-on?
Vieille bégueule, ennuyeuse commère,
En ne faisant que contes de grand'mère,
N'attire pas la foule des chalands;
Du vestibule, une odeur pestifère
Dégoûtera vos tristes courtisans
De l'air impur, de l'affreuse atmosphère
Que sans relâche exhale le cautère.
<27>Dieu sait comment les Chasots27-a de ces temps,
Les damerets, les jeunes Ferdinands,27-b
Gens nés moqueurs et très-peu charitables,
Plaisanteront vos faces vénérables,
Quand, requinquant vos spectres ambulants,
Il vous plaira de faire les aimables.
Oui, votre porte ouverte à vos galants
Par leur concours ne sera plus usée,
Vous en serez la fable et la risée,
Et je vous vois regretter les rigueurs
Dont à présent, exerçant vos caprices,
Vous dédaignez cette foule de cœurs
Dont vos amants vous font les sacrifices;
Et je prévois que vos attraits usés,
Voyant déchoir leurs folles espérances,
S'humilieront à faire des avances
A ces amants à présent méprisés,
Mais vainement, car la rouille de l'âge
Du tendre amour ne reçoit plus d'hommage.
Tel est le sort des frivoles appas
Dont la beauté fait l'unique partage;
Mais croyez-moi, respectable Camas,
Votre vertu vous sauve du naufrage.
Qu'importe enfin que l'âge destructeur
De vos attraits ternisse la fraîcheur?
C'est attaquer la moitié de vous-même;
Mais votre esprit, que j'estime et que j'aime,
A vos attraits est bien supérieur.
<28>Bravez le temps et sa rage insolente :
Il ne peut rien sur votre belle humeur,
Ni sur votre âme impassible et constante.
Vous méprisez la sotte gravité
Dont à la cour s'enfle une gouvernante;
Votre sagesse est toujours indulgente,
Et votre esprit rappelle la gaîté
Dans les ennuis d'une cour indolente.
Bien plus encor, vous êtes par piété
Bonne huguenote et pourtant tolérante;
Après ce trait, adorable Camas,
Ah! quel mortel ne vous aimerait pas?
Les ignorants vous jugent ignorante,
Et les savants vous prennent pour savante;
Vous vous pliez avec facilité
Au goût, aux mœurs de la société,
Vous savez rire et plaire à la jeunesse,
L'âge sensé prise votre sagesse,
Et, complaisante et pleine de bonté,
Vous supportez de l'infirme vieillesse
Le bavardage et la caducité.
C'est par ces traits que votre âme accomplie
A par estime acquis de vrais amis;
Ne pensez point qu'Amour, plein de folie,
Papillonnant, puisse en trouver parmis
Ces éventés que la débauche lie.
C'est sur l'estime et c'est sur les vertus
Que l'amitié véritable se fonde;
Vous possédez ces titres, et de plus
Vous avez l'art de plaire à tout le monde.
<29>Oui, désormais, Camas, je chanterai
Ce beau génie, et je consacrerai
A vos vertus mes talents et ma verve,
Et dans mes vers je vous implorerai
Comme Pallas et comme ma Minerve.
23-a La comtesse Sophie-Caroline de Camas, née de Brandt, était depuis 1742 grande gouvernante de la reine Élisabeth-Christine, et mourut à Schönhausen, le 2 juillet 1766, âgée de quatre-vingts ans. La reine son amie lui a érigé un magnifique monument dans sa Lettre dédicatoire à son frère Ferdinand, en tète de l'ouvrage de Crugott intitulé : Le Chrétien dans la solitude. Traduit l'année 1766 et fini en 1767. A Berlin, 1776.
24-a Edme Bouchardon, célèbre sculpteur français, né en 1698, mourut en 1762. Voyez t. VII, p. 40.
27-a Voyez t. III, p. 129 et 160, et t. X, p. 217.
27-b Voyez t. X, p. 136.