<192>Les grands, ces fils chéris de l'aveugle fortune,
Sont couverts de mépris, si leur âme est commune.
Néron, quoique César, fut haï des Romains,
Rome pour leurs vertus chérit les Antonins;
Bienfaisants Antonins, mes héros, mes exemples,
Il faut vous invoquer, vous méritez des temples :
Si de faibles humains peuvent atteindre aux dieux,
Vous êtes immortels, adorables comme eux.
Je sens à votre nom dans le fond de mon âme
Que l'amour des vertus redouble encor sa flamme;
Oui, j'en présume mieux du triste genre humain.
Julien, peu connu, fut le dernier Romain.
Que de monstres affreux profanèrent ce trône,
Et firent éclipser l'éclat de leur couronne!
Mais faut-il être roi pour être bienfaisant?
N'est-il plus de vertus quand on est moins puissant?
L'occasion peut rendre un pauvre serviable,
Dans l'état médiocre on sera secourable,
Si l'on est riche, au pauvre on doit son superflu,
Un grand doit protéger l'indigente vertu.
Dans la prospérité l'âme entière s'étale,
On la voit ce qu'elle est, avare ou libérale;
Nos états sont divers, nos devoirs sont communs.
Ainsi la tendre fleur nous donne ses parfums,
La campagne ses blés, les arbres leurs ombrages,
Les rochers leurs métaux, les prés leurs pâturages,
L'Océan ses poissons, et les vents leur fraîcheur.
Ainsi l'astre du nord guide le voyageur.
Ainsi, lorsque la nuit répand ses voiles sombres,
La sœur du dieu du jour vient éclairer les ombres.