<95>grandeur, de la vénération extrême qu'ils ont pour leur ancienne et illustre race, et du zèle inviolable qu'ils ont pour leurs armoiries. Les personnes sensées disent qu'ils feraient mieux de ne figurer dans le monde que comme des seigneurs qui sont bien à leur aise, de quitter une bonne fois les échasses sur lesquelles leur orgueil les monte, de n'entretenir tout au plus qu'une garde suffisante pour chasser les voleurs de leur château, en cas qu'il y en eût d'assez affamés pour y chercher subsistance, et de raser les remparts, les murailles et tout ce qui peut donner l'air d'une place forte à leur résidence.

En voici les raisons : la plupart des petits princes, et nommément ceux d'Allemagne, se ruinent par la dépense, excessive à proportion de leurs revenus, que leur fait faire l'ivresse de leur vaine grandeur; ils s'abîment pour soutenir l'honneur de leur maison, et ils prennent par vanité le chemin de la misère et de l'hôpital; il n'y a pas jusqu'au cadet du cadet d'une ligne apanagée qui ne s'imagine d'être quelque chose de semblable à Louis XIV : il bâtit son Versailles, il a ses maîtresses, il entretient ses armées.

Il y a actuellement un certain princea apanagé d'une grande maisonb qui, par un raffinement de grandeur, entretient exactement à son service tous les corps de troupes qui composent la maison d'un grand roi, et cela si fort en diminutif, qu'il faut un microscope pour apercevoir chacun de ces corps en particulier; son armée serait peut-être assez forte pour représenter une bataille sur le théâtre de Vérone.

J'ai dit, en second lieu, que les petits princes faisaient mal de fortifier leur résidence, et la raison en est toute simple : ils ne sont pas dans le cas de pouvoir être assiégés par leurs semblables, puisque des voisins plus puissants qu'eux se mêlent d'abord de


a L'autographe de l'Auteur porte « un certain prince d'Allemagne. »

b Ce passage ne peut se rapporter qu'au duc Ernest-Auguste de Saxe-Weimar, qui entretenait un bataillon de sept cents hommes, un escadron de cent quatre-vingts maîtres, et une compagnie de cadets à cheval. Frédéric vit ces troupes au camp de Mühlberg, en 1730. Voici ce que le baron de Pöllnitz en dit, entre autres, dans le premier volume de ses Lettres et Mémoires contenant les observations qu'il a faites dans ses voyages : « Véritablement elles doivent être à charge au duc, dont on dit que les revenus n'excèdent pas quatre cent mille écus. »