<74>monstres que des moines avaient formés. Mais Machiavel parle plutôt, en ce chapitre, de révolutions générales que de cas particuliers; il a deviné à la vérité quelques ressorts d'une machine très-composée, mais il me semble qu'il n'a pas examiné les principaux.

La différence des climats, des aliments et de l'éducation des hommes établit une différence totale entre leur façon de vivre et de penser; de là vient la différence d'un moine italien et d'un Chinois lettré. Le tempérament d'un Anglais profond, mais hypocondre, est tout à fait différent du courage orgueilleux d'un Espagnol; et un Français se trouve avoir aussi peu de ressemblance avec un Hollandais que la vivacité d'un singe en a avec le flegme d'une tortue.

On a remarqué de tout temps que le génie des peuples orientaux était un esprit de constance pour leurs pratiques et leurs anciennes coutumes, dont ils ne se départent presque jamais. Leur religion, différente de celle des Européens, les oblige encore en quelque façon à ne point favoriser l'entreprise de ceux qu'ils appellent les infidèles, au préjudice de leurs maîtres, et d'éviter avec soin tout ce qui pourrait porter atteinte à leur religion et bouleverser leurs gouvernements. Voilà ce qui, chez eux, fait la sûreté du trône plutôt que celle du monarque; car ce monarque est souvent détrôné, mais l'empire n'est jamais détruit.

Le génie de la nation française, tout différent des Musulmans, fut tout à fait ou du moins en partie cause des fréquentes révolutions de ce royaume : la légèreté et l'inconstance a fait le caractère de cette aimable nation; les Français sont inquiets, libertins et très-enclins à s'ennuyer de tout; leur amour pour le changement s'est manifesté jusque dans les choses les plus graves. Il paraît que ces cardinaux haïs et estimés des Français, qui successivement ont gouverné cet empire, ont profité des maximes de Machiavel pour rabaisser les grands, et de la connaissance du génie de la nation pour détourner ces orages fréquents dont la légèreté des sujets menaçait sans cesse les souverains.

La politique du cardinal de Richelieu n'avait pour but que d'abaisser les grands pour élever la puissance du Roi et pour la faire servir de base à toutes les parties de l'État; il y réussit si