<261>à s'en rendre le maître, ou en ceux qui, étant fidèles à leur prince légitime, lui ont été le plus contraires.

Lorsqu'on prend une ville par intelligence et par la trahison de quelques citoyens, il y aurait beaucoup d'imprudence de se fier au traître. Cette mauvaise action qu'il a faite en votre faveur, il est toujours prêt de la faire pour un autre, et c'est l'occasion qui en décide. Au contraire, ceux qui marquent de la fidélité pour leurs souverains légitimes donnent des exemples de constance sur lesquels on peut compter, et l'on doit présumer qu'ils feront pour leurs nouveaux maîtres ce qu'ils ont fait pour ceux que la nécessité les a forcés d'abandonner. La prudence veut cependant qu'on ne se confie pas légèrement, ni sans avoir pris de bonnes précautions.

Mais supposons pour un moment que des peuples opprimés et forcés à secouer le joug de leurs tyrans appelassent un autre prince pour les gouverner, sans qu'il ait intrigué. Je crois que ce prince doit répondre en tout à la confiance qu'on lui témoigne, et que s'il en manquait, en cette occasion, envers ceux qui lui ont confié ce qu'ils avaient de plus précieux, ce serait le trait le plus indigne d'une ingratitude qui ne manquerait pas de flétrir sa mémoire. Guillaume, prince d'Orange, conserva jusqu'à la fin de sa vie son amitié et sa confiance à ceux qui lui avaient mis entre les mains les rênes du gouvernement d'Angleterre; et ceux qui lui étaient opposés abandonnèrent leur patrie, et suivirent le roi Jacques.

Dans les royaumes électifs, où la plupart des élections se font par brigues, et où le trône est vénal, quoi qu'on en dise, je crois que le nouveau souverain trouvera la facilité, après son élévation, d'acheter ceux qui lui ont été opposés, comme il s'est rendu favorables ceux qui l'ont élu. La Pologne nous en fournit des exemples : on y trafique si grossièrement du trône, qu'il semble que cet achat se fasse aux marchés publics, et la libéralité d'un roi de Pologne écarte de son chemin toute opposition; il est le maître de gagner les grandes familles par des palatinats, des starosties et d'autres charges qu'il confère. Mais comme les Polonais ont sur le sujet des bienfaits la mémoire très-courte, il faut revenir souvent à la charge; en un mot, la république de Pologne est comme le