<237>commoder et à se priver du superflu pour leur être secourable. Sa bonté n'a d'autres limites que ses forces. C'est là, je le soutiens, une des premières qualités d'un grand prince et de tous ceux qui sont nés pour secourir et pour soulager les misères des autres.

La seconde faute que je reproche à Machiavel, c'est une erreur de caractère. J'appelle une erreur de caractère l'ignorance qui lui fait attribuer à la libéralité les défauts de l'avarice. « Un prince, dit-il, pour soutenir sa réputation d'homme libéral, surchargera ses sujets, recherchera des moyens de confiscation, et sera obligé d'en venir à des voies indignes pour remplir ses coffres. » C'est là précisément le caractère d'un avare; ce fut Vespasien, et non pas Trajan, qui mit des impôts sur le peuple romain. L'avarice est une faim dévorante qui ne se rassasie jamais; c'est un chancre qui ronge toujours à l'entour de lui, et qui consume tout. Un homme avare désire les richesses; il les envie à ceux qui les possèdent, et, s'il peut, il se les approprie. Les hommes intéressés se laissent tenter par l'appât du gain, et les juges avares sont soupçonnés de corruption. Tel est le caractère de ce vice, qu'il éclipse les plus grandes vertus lorsqu'il se trouve réuni dans le même objet.

L'homme libéral est justement l'opposé de l'avare; la bonté et la compassion servent de base à sa générosité. S'il fait du bien, c'est pour secourir des malheureux et pour contribuer à la félicité des personnes de mérite à qui la fortune n'est pas aussi favorable que la nature. Un prince de ce caractère, bien loin de presser les peuples et de dépenser pour ses plaisirs ce que ses sujets ont amassé par leur industrie, ne pense qu'à augmenter les ressources de leur opulence; des actions injustes et mauvaises ne se font qu'à son insu, et son bon cœur l'excite à procurer à tous les peuples de sa domination tout le bonheur que l'état dans lequel ils sont peut comporter.

Voilà le sens qu'on attache pour l'ordinaire à la libéralité et à l'avarice. De petits princes dont le domaine est resserré, et qui se voient surchargés de famille, font bien de pousser l'économie jusqu'à un point que des personnes peu subtiles ne puissent la distinguer de l'avarice. Des souverains qui, pour avoir quelques