<200>la plus funeste et la plus malheureuse. L'homme cruel est d'un tempérament misanthrope et atrabilaire; si dès son jeune âge il ne combat pas cette malheureuse disposition de son corps, il ne saurait manquer de devenir aussi furieux qu'insensé. Quand même donc il n'y aurait point de justice sur la terre et point de Divinité aux cieux, il faudrait d'autant plus que les hommes fussent vertueux, puisque la vertu les unit et leur est absolument nécessaire pour leur conservation, et que le crime ne peut que les rendre infortunés et les détruire.

Machiavel manque de sentiment, de bonne foi et de raison. J'ai développé sa mauvaise morale et son infidélité dans ses citations d'exemples. Je le convaincrai à présent de contradictions grossières et manifestes. Que le plus intrépide commentateur, que le plus subtil interprète concilie ici Machiavel avec lui-même. Il dit dans ce chapitre, « Qu'Agathocles soutint sa grandeur avec un courage héroïque; cependant on ne peut pas donner le nom de vertu aux assassinats et aux trahisons qu'il a commis. » Et dans le chapitre septième il dit de César Borgia, « Qu'il attendit l'occasion de se défaire des Ursins, et qu'il s'en servit prudemment. » Ibid. « Si l'on examine, en général, toutes les actions de Borgia, il est difficile de le blâmer. » Ibid. « Il ne pouvait se conduire autrement qu'il a fait. » Me serait-il permis de demander à l'auteur en quoi Agathocles diffère de César Borgia? Je ne vois en eux que mêmes crimes et même méchanceté. Si l'on faisait le parallèle, on ne serait embarrassé que de décider lequel des deux fut le plus scélérat.

La vérité oblige cependant Machiavel de faire de temps en temps des aveux où il paraît faire amende honorable à la vertu. La force de l'évidence l'oblige de dire, « Qu'un prince doit se conduire d'une manière toujours uniforme, afin qu'en des temps malheureux il ne se voie point obligé de relâcher quelque chose pour faire plaisir à ses sujets, car en ce cas sa douceur extorquée serait sans mérite, et ses peuples ne lui en sauraient aucun gré. » Ainsi, Machiavel, la cruauté et l'art de se faire craindre ne sont donc point les uniques ressorts de la politique, comme vous paraissez l'insinuer, et vous convenez vous-même que l'art de gagner les cœurs est le fondement le plus solide de la sûreté