<186>teur des Juifs, du libérateur des Grecs, du conquérant des Mèdes, du fondateur de Rome, de qui les succès répondirent à leurs desseins, Machiavel n'y ajoute-t-il point l'exemple de quelques chefs de parti malheureux, pour montrer que, si l'ambition fait parvenir quelques hommes, elle en perd le plus grand nombre? On pourrait ainsi opposer à la fortune de Moïse le malheur de ces premiers peuples goths qui ravagèrent l'empire romain; au succès de Romulus l'infortune de Masaniello, boucher de Naples, qui s'éleva à la royauté par sa hardiesse, mais qui fut la victime de son crime; à l'ambition couronnée d'Hiéron l'ambition punie de Wallenstein; on placerait auprès du trône sanglant de Cromwell, meurtrier de son roi, le trône renversé du superbe Guise, qui fut assassiné à Blois. Ainsi l'antidote, suivant le poison de si près, préviendrait ses dangereux effets; ce serait la lance d'Achille, qui fait le mal et le guérit.

Il me semble, d'ailleurs, que Machiavel place assez inconsidérément Moïse avec Romulus, Cyrus et Thésée. Ou Moïse était inspiré, ou il ne l'était point. S'il ne l'était point, on ne peut regarder Moïse que comme un archiscélérat, un fourbe, un imposteur qui se servait de Dieu comme les poëtes des dieux de machines, qui font le dénoûment de la pièce, lorsque l'auteur est embarrassé. Moïse était, d'ailleurs, si peu habile, qu'il conduisit le peuple juif pendant quarante années par un chemin qu'ils auraient très-commodément fait en six semaines; il avait très-peu profité des lumières des Égyptiens, et il était, en ce sens-là, beaucoup inférieur à Romulus, et à Thésée, et à ces héros. Si Moïse était inspiré de Dieu, on ne peut le regarder que comme l'organe aveugle de la toute-puissance divine; et le conducteur des Juifs était bien inférieur au fondateur de l'empire romain au monarque persan, et aux héros grecs qui faisaient par leur propre valeur et par leurs propres forces de plus grandes actions que l'autre n'en faisait avec l'assistance immédiate de Dieu.

J'avoue, en général, et sans prévention, qu'il faut beaucoup de génie, de courage, d'adresse et de conduite pour égaler les hommes dont nous venons de parler; mais je ne sais point si l'épithète de vertueux leur convient. La valeur et l'adresse se trouvent également chez les voleurs de grand chemin et chez