<110>vient le moins aux princes. Ils peuvent manifester leur magnificence de cent manières beaucoup plus utiles pour leurs sujets; et s'il se trouvait que l'abondance du gibier ruinât les gens de la campagne, le soin de détruire ces animaux pourrait très-bien se commettre aux chasseurs payés pour cela. Les princes ne devraient proprement être occupés que du soin de s'instruire et de gouverner, afin d'acquérir d'autant plus de connaissances, et de pouvoir d'autant plus se former une idée de leur profession pour agir bien en conséquence.

Je dois ajouter, surtout pour répondre à Machiavel, qu'il n'est point nécessaire d'être chasseur pour être grand capitaine. Gustave-Adolphe, Turenne, Marlborough, le prince Eugène, à qui on ne disputera pas la qualité d'hommes illustres et d'habiles généraux, n'ont point été chasseurs; nous ne lisons point que César, Alexandre ou Scipion l'aient été.

On peut, en se promenant, faire des réflexions plus judicieuses et plus solides sur les différentes situations d'un pays, relativement à l'art de la guerre, que lorsque des perdrix, des chiens couchants, des cerfs, une meute de toute sorte d'animaux, et l'ardeur de la chasse vous distraient. Un grand prince,a qui a fait la seconde campagne en Hongrie, a risqué d'être fait prisonnier des Turcs pour s'être égaré à la chasse. On devrait même défendre la chasse dans les armées, car elle cause beaucoup de désordre dans les marches.

Je conclus donc qu'il est pardonnable aux princes d'aller à la chasse, pourvu que ce ne soit que rarement, et pour les distraire de leurs occupations sérieuses et quelquefois fort tristes. Je ne veux interdire, encore une fois, aucun plaisir honnête; mais le soin de bien gouverner, de rendre son État florissant, de protéger, de voir les succès de tous les arts, est sans doute le plus grand plaisir; et malheureux celui à qui il en faut d'autres!


a François-Étienne, duc de Lorraine, chassant en 1737 près de Kolar, en Servie, s'égara au point que le maréchal comte de Seckendorff dut le faire remettre sur la route du camp par des trompettes placés de distance en distance. Voyez Versuch einer Lebensbeschreibung des Feldmarschalls Grafen von Seckendorff (par le baron Thérésius de Seckendorff. Sans lieu d'impression), 1792, t. II, p. 98.