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78. A LA MÊME.

Ruppin, 3 mai 1740.



Ma très-chère sœur,

Vous avez trop de bonté de vous intéresser au sort des pauvres Remusbergeois.b Leur malheur a été grand, mais leurs pertes sont presque toutes réparées, et leurs maisons seront mieux rebâties qu'elles ne l'ont été. Le château a beaucoup périclité pendant l'incendie; cependant il a été heureusement sauvé des flammes.

Je crois, ma très-chère sœur, que vous m'aurez quelque obligation de vous avoir dissuadée de votre voyage dans les circonstances où nous sommes. Je suis sûr que ce voyage aurait de beaucoup abrégé vos jours par le chagrin qu'il vous aurait causé infailliblement. Le Roi est allé, malgré l'état dans lequel il se trouve, à Potsdam; il est plus mal que jamais, les symptômes empirent, et nous ne comptons plus que par mois, ou, pour mieux dire, par semaines. L'exercice m'a tiré de la galère, mais je ne crois pas que ce sera pour longtemps. Je respire la liberté avec goût; peut-être que ce sera pour longtemps qu'il faudra y renoncer. Je vous souhaite cependant toute la satisfaction possible dans votre paisible vie, et tout le divertissement que peuvent vous procurer la musique et les beaux-arts. Je n'ai guère le temps d'y penser à présent. Vous jugez facilement de ma situation, d'autant plus que vous en connaissez les circonstances. Adieu, ma très-chère sœur; conservez-moi toujours votre précieuse amitié, et ne doutez jamais de tous les sentiments d'estime et de tendresse avec lesquels je suis inviolablement, ma très-chère sœur, etc.


b La ville de Rheinsberg avait été presque entièrement réduite en cendres le 14 avril; on n'avait pu sauver que le château et une rue.