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45. A LA MÊME.

Remusberg, 3 février 1737.



Ma très-chère sœur,

Je m'acquitte enfin de ma promesse en vous envoyant la cantate de Virgile, que vous avez ordonné d'avoir. Il n'y avait que vous, ma très-chère sœur, à qui je l'aurais donnée, et j'espère qu'elle ne sortira pas de vos mains pour se répandre toute paît ailleurs. Il n'y a que la sécheresse de mon imagination qui est cause que vous n'ayez pas encore reçu le concerto que je me suis engagé de composer; j'ai eu beau faire tous mes efforts, je n'ai pu encore trouver une harmonie digne de vous être offerte, et j'attends que mon heureux génie m'en inspire une.

Nous avons assez nombreuse compagnie ici. Quand nous sommes rassemblés, notre table est ordinairement de vingt-deux à vingt-quatre couverts; Brandt, M. Kannenberg avec son épouse, Keyserlingk, le jeune Grumbkow, un certain capitaine Kalnein, quelques officiers de mon régiment, Chasot, et un certain Jordan, qui est un homme d'étude et de savoir, composent notre société. Nous nous divertissons de riens, et n'avons aucun soin des choses de la vie qui la rendent désagréable, et qui jettent du dégoût sur les plaisirs. Nous faisons la tragédie et la comédie, nous avons bal, mascarade et musique à toute sauce. Voilà un abrégé de nos amusements. Avec cela, la philosophie va toujours son train, car c'est la plus solide source où nous puissions puiser notre bonheur.

Je viens dans ce moment de recevoir votre aimable lettre, accompagnée d'une charmante pendule. Je vous en fais mille remercîments. Que ne puis-je vous marquer toute l'étendue de la tendresse que j'ai pour vous! Je n'en reconnais pas moins le prix d'une sœur qui veut m honorer de la plus tendre amitié et de son estime.

Je ne sais par quel endroit je me suis insinué auprès du gazetier de Nuremberg, mais il me fait bien de l'honneur de m'afficher de la sorte, moi qui ne suis qu'un ignorant, et qui n'ai d'autre mérite que de n'être pas aveuglé sur moi-même. Voltaire