<238>été surprise de la mort de madame de Grapendorf;a il y en a bien d'autres qui en ont été affligés. On devrait s'accoutumer à voir mourir; cependant j'avoue mon grand faible, que ma constance m'abandonne quand cela tombe sur mes amis et sur des personnes que j'ai connues longtemps. Soit faiblesse, soit pusillanimité, je crois qu'il vaut mieux pousser la compassion à l'excès que de pouvoir s'accuser de la moindre dureté, et il me paraît qu'un stoïcien qui n'aime personne ne mérite guère d'être aimé à son tour. La nature ou la Providence ont sagement établi que la société se soutient par des services mutuels, et que la vertu devient le lien des hommes. N'aimer que soi-même, être indifférent au bien et au mal, c'est être un méchant citoyen et une créature rebelle à la nature, qui a voulu nous faire sentir la douleur comme le plaisir, et qui ne nous a pas faits de bronze, mais de chair, pour que nous fussions sensibles. Mais je m'égare étrangement à propos de morale; le plaisir de croire vous parler me séduit, et, quoique absente, je crois vous voir, ma chère sœur, et vous entendre. Pardonnez-moi, je vous prie, mon impertinent bavardage, en faveur des sentiments tendres et de cette ancienne amitié avec laquelle je serai jusqu'au dernier soupir de ma vie, ma très-chère sœur, etc.

269. A LA MÊME.

Ce 20 (janvier 1754.).



Ma très-chère sœur,

Je suis très-fâché que vous ayez ressemblé à la Fortune; je voudrais fort qu'aucune des infirmités humaines ne vous empêchât de ressembler à vous-même. Vous ne gagneriez rien en troquant envers les dieux. J'admire toutes les bontés que vous avez pour moi, et jusqu'où s'étendent vos attentions. Je plains le Margrave


a Madame de Grapendorf mourut à Schwedt, pendant un séjour qu'elle y faisait pour assister au mariage du prince Frédéric de Würtemberg.