322. DU MÊME.

Camp de Röhrsdorf, 3 août 1778.



Mon très-cher frère,

Je me suis mis en marche hier pour venir jusqu'ici. J'ai le bonheur d'avoir Gabel. J'ai Zwickau, où j'ai un débouché pour Zittau. Je suis obligé d'aller très-prudemment, car si jamais ma retraite était coupée, il n'est pas possible de se tirer d'ici. Si vous allez en Moravie, je ne puis rester en Bohême. En voulant s'approcher de l'Elbe, on garde tous les défilés derrière soi, et il faut les avoir vus pour s'en former une idée. Le général Platen campe à Gamig; le prince de Lichtenstein est dans ses redoutes d'Aussig et Türmitz. Loudon a été à Neuschloss; de là il a été à Niemes, et hier il est allé à Hünerwasser et Weisswasser; il veut nous tourner par la gauche, du côté de Gabel. J'y fais retrancher les Saxons jusqu'aux dents. J'y ai Belling497-a et le corps <437>de Podjurski.497-b Malgré le succès de cette entreprise, je ne la tenterais plus, si l'on voulait me donner trois royaumes. Avec mille hommes et deux canons, toute l'armée eût été arrêtée sans pouvoir passer. Si un corps de votre armée pouvait passer, je suis certain que Loudon serait très-embarrassé. Du reste, il est impossible que j'aille plus loin. Je ferai demain une marche en avant, où je rassemble un peu plus l'armée; mais je suis obligé d'établir ma boulangerie à Zittau, et il faut quatre jours pour aller et revenir. Nos chevaux sont abîmés par les chemins. Je ne crois pas qu'il soit prudent de m'arrêter ici trop longtemps. C'est d'ailleurs un pays de bois et de rochers. Nous avons eu quatre bataillons à notre dos, qui s'étaient égarés dans les fonds; ce sont ceux-là que nous avons ensuite tous pris; mais cela prouve aussi la difficulté du pays. D'ailleurs, il faut le connaître, et ce n'est qu'en envoyant des officiers avec les patrouilles que je fais reconnaître et dessiner les chemins. Sans ce secours, je ne me tirerais pas d'affaire. Je fais venir la grosse artillerie à Zittau, et, si j'en ai besoin, je l'attire à moi, mais pas plus tôt que je verrai clair dans les démarches de Loudon. Mon bonheur est que personne ne s'est douté de cette entreprise; c'est aussi sur quoi je me suis reposé. Elle serait d'ailleurs trop téméraire, et je ne conseille à personne au monde de l'imiter. Au reste, je serai satisfait si le petit succès que j'ai eu, joint aux peines d'esprit et aux fatigues du corps, mérite votre satisfaction. Ce seront les derniers services que je pourrai rendre. Je ferai les derniers efforts pour soutenir cette campagne; mais mes forces ne vont point au delà, et je suis hors d'état de supporter le poids d'une charge qui demande une continuelle sagacité d'esprit, jointe à un corps ferme et robuste.498-a Je suis, etc.


497-a Voyez ci-dessus, p. 144 et 195.

497-b Charles de Podjurski naquit, en 1720, dans l'évêché de Varmie. En 1770, il devint chef du 4e régiment de hussards, et en 1775 il fut nommé général-major. Il mourut le 12 mars 1781, à Wartenberg, en Silésie.

498-a Voyez Militärischer Nachlass des Grafen Henckel von Donnersmarck, t. II, cahier II, p. 175.