32. AU MÊME.

(Potsdam) ce 12 (février 1753).



Mon cher frère,

Ce n'est pas par un privilége de notre famille que vous trouvez tant de fermeté dans ma sœur de Baireuth;125-c c'est, mon cher frère, par la philosophie qu'elle s'est élevé l'âme au-dessus des infortunes auxquelles la condition humaine est exposée. Ce sont là les vrais secours que nous tirons des réflexions, de dépouiller tous les objets de leurs attraits, et de les priser au juste; et, dans ce sens, la plupart des malheurs qui arrivent aux hommes ne sont pas aussi grands qu'ils se les font eux-mêmes. Il n'y a que la perte des personnes qu'on aime qui soit réelle et irréparable; et cependant, à ce mal même, la philosophie y apporte des secours; avec son aide et avec celle du temps, on parvient à adoucir une douleur trop vive qui dégraderait l'homme, s'il s'y abandonnait en lâche. Mais, malgré tous nos efforts, il faut avoir quelque indulgence pour la vivacité des premiers moments, et penser que les faiblesses d'un cœur sensible sont préférables à l'inhumaine dureté des stoïciens.

Ne pensez pas qu'aux folies du chevalier Folard j'aie ajouté les miennes; je n'ai fait que choisir encore quelques morceaux intéressants que Seers avait peut-être oublié de tirer de son ouvrage, et je les ai fait joindre aux autres; de sorte que, avec ce <109>petit abrégé, on peut porter tout le bon sens du chevalier Folard dans sa poche, et je crois même qu'il peut à présent devenir utile à nos militaires avides de s'instruire.126-a C'est à quoi je pense sans cesse, et je voudrais bien qu'on ne pût me faire aucun reproche sur la discipline de l'armée, sur son entretien, sur l'instruction des officiers, et sur tous les arrangements préliminaires à une guerre que mes facultés me permettent de prendre en temps de paix. Cela fait, j'attendrai tranquillement les événements, et, s'il faut dégaîner, on nous trouvera au moins préparés et en état de soutenir la réputation du nom prussien. Je suis, etc.


125-c Voici ce qu'on lit dans l'Éloge (inédit) de la margrave Wilhelmine, composé en 1759 par le marquis d'Adhémar, grand maître de la maison de la princesse défunte : « Un affreux incendie consuma (le 26 janvier 1753) le château de Baireuth et beaucoup d'effets précieux. Leurs Altesses envisagèrent ce triste événement comme un de ces coups de la fortune qui ne doit point abattre les âmes fermes. Leur premier soin fut de consoler leur cour, etc. »

126-a Frédéric parle de son Extrait tiré des Commentaires du chevalier Folard sur l'Histoire de Polybe. Quant à M. de Seers, voyez t. IV, p. 179.