<494>laisserai ce pays sans liaisons, sans amis, et dans une situation à ne pouvoir parer les coups que l'Empereur médite de lui porter. Voilà, mon cher frère, la cause de mes embarras. Je travaille en honnête homme pour le bien de l'État; mais si je meurs dans cette crise, il n'a pas dépendu de moi de former maintenant ces alliances, et après ma mort on en rejettera tout le blâme sur ma mémoire. Toutes mes lettres de la Russie sont remplies des arrangements guerriers qui s'y font, et, à moins d'un miracle, les opérations commenceront le printemps prochain par le siége d'Oczakow; ce sera donc l'année 1783 qui nous étalera les événements de cette nouvelle guerre, qui servira, soit à constater l'union des deux cours impériales, ou bien qui les rendra irréconciliables. Je me prêche la patience autant que je le puis, mais je ne saurais atteindre à l'apathie ou plutôt à l'indolence stoïcienne, et j'aime trop ma patrie pour considérer avec des yeux insensibles le sort qui la menace. Vous me direz peut-être, mon cher frère : De quoi vous embarrassez-vous? Le proverbe dit : Après moi le déluge. Cela est vrai. S'il ne s'agissait que de mon personnel, je penserais de même; mais il s'agit de l'État dont je suis le pilote, et que je dois mener de façon que je lui fasse éviter les écueils tant que j'ai le gouvernement en main; le gouffre de Charybde et Scylla est devant moi, et je crains que quelque vent impétueux y pousse le vaisseau, et qu'il s'engloutisse sous les ondes.

On m'écrit de Vienne que le grand-duc partirait le 19 de Vienne; il prend par Troppau, Ratibor et Pless. J'ai envoyé les deux Würtemberga à sa rencontre, avec des lettres. Je vous embrasse, mon cher frère, en vous assurant de toute ma tendresse, tout mon attachement et toute l'estime avec laquelle je suis, etc.


a Le prince Frédéric-Louis-Alexandre, général-major, et son frère le prince Frédéric-Eugène-Henri, colonel.