<487>mine, c'est un fétu de paille dont nous nous occupons. A peine Alexandre eut-il formé sa monarchie, qu'elle fut démembrée; César, en détruisant la liberté romaine, prépara, sans le savoir, la décadence et la chute de cet empire; il ne reste plus de vestiges des Timur et des Gengis; et peut-être que cette monarchie fondée par Mahomet frise le dernier période de sa durée. Mais bien plus, en examinant sans prévention ces objets auxquels les hommes attachent des idées de grandeur, on n'y découvre que petitesse, folie et illusion. Qu importe à l'univers que Mustapha ou Constantin soit censé gouverner la Turquie? Croyez-vous que le monde en irait moins son train, si, au lieu de Louis XVI, Ferdinand de Cordoue gouvernait la France, et si Cunégonde était reine d'Angleterre dans la place de George III? Tout cela est fort égal, mon cher frère, et les habitants de Saturne et de Mercure, s'il en est, n'en tiendront aucun compte. Il n'y a qu'à bien examiner les objets de la concupiscence pour en connaître la frivolité, et pour se détromper des illusions et des vanités de ce monde. Tant que l'on est jeune et séduit par des passions ardentes, on s'enivre d'espérances, se flattant de posséder des choses qui, bien considérées, ne méritent pas d'être recherchées. L'âge et la raison viennent ensuite, le brouillard qui nous empêchait de voir clairement les objets tombe, et ce qui jadis excitait nos vœux s'attire nos mépris. En voilà pour la fourmi.

Quant à la comparaison que j'ai hasardée de ce pays avec la Suède, je vois, mon cher frère, que vous la rejetez également. Je ne veux pas disconvenir que nous ayons quelques avantages sur la Suède; toutefois vous trouverez, mon cher frère, que, en examinant tous les empires de l'Europe, la Suède, le Danemark et le nôtre sont les plus pauvres. Le commerce de l'Angleterre, de la Hollande, de la France, de l'Espagne est si prodigieux, que le nôtre ne peut en aucune manière y être comparé. La puissance de l'Autriche et celle de la Russie sont si supérieures à la nôtre, que nous ne pouvons pas nous mettre en balance avec eux; nous avons trop peu de consistancea et trop de frontières. Ce sont, dans le fond, des misères; toutefois cela fait beaucoup pour les hommes qui attachent de l'importance à ces idées. Nous avons


a Voyez t. IX, p. 216.