<369>

253. AU PRINCE HENRI.

Le 20 juillet 1775.



Mon très-cher frère,

C'est en vous rendant grâce de la lettre de l'Impératrice que vous avez la bonté de me communiquer, et que je vous remets, mon très-cher frère, que je dois vous dire, puisque vous voulez bien demander mon sentiment, que je crois, vu les termes où vous en êtes avec l'Impératrice, qu'avec bonne grâce vous ne pourrez guère vous dispenser de faire le voyage de Pétersbourg. Elle vous traite en ami, elle vous demande cette complaisance pour avoir le plaisir de vous revoir. Si vous la refusiez, ce serait rompre avec elle, et vous savez, mon cher frère, que les Indiens disent qu'il faut adorer le diable pour l'empêcher de nuire. Pour les héros de la dernière bataille de Sans-Souci, ils sont devenus doux comme des moutons; la correction qu'ils ont reçue les a rendus encyclopédistes, et à présent ils sont les premiers à déclamer contre la guerre. Mes nièces sont arrivées ici; celle de Cassel est bien aimable; celle de Würtemberg est un peu courte d'espèces, mais pour de l'esprit, elle n'en manque pas. Je leur ai fait entendre Le Kain.a Je vous en dirai, mon cher frère, mon sentiment. Je trouve en lui la façon de déclamer de Voltaire; il a le geste très-noble, une attention prodigieuse pour la pantomime, mais dans quelques endroits je le trouve plus outré qu'Aufresne. Je lui ai beaucoup parlé, et il m'a fait valoir la dignité et la sublimité de l'art de la déclamation avec tous les termes qui en peuvent relever la réputation. Hier il a joué le rôle d'Orosmane, et j'ai été obligé de répandre des larmes au troisième, quatrième et cinquième acte. On aime à retrouver son cœur et à se sentir encore des entrailles; cela est plus amusant que cette maudite politique, où l'on n'a à traiter qu'avec des fripons. L'affaire de Bavière se négocie actuellement en France, et je suis toute la marche de ce ministère d'iniquité. La lâcheté de la France laissera aller les choses comme il plaira à l'aveugle destinée. Mais en voici bien d'une autre. On veut troquer la Toscane contre le


a Voyez t. XXIII, p. 378, 379, 380 et 394; t. XXV, p. 25.