<179>nables pour nous défendre contre nos ennemis. Ce que vous me dites de ma sœur de Baireuth me fait trembler; c'est, après notre digne mère, ce que j'ai le plus tendrement chéri dans le monde; c'est une sœur qui a mon cœur et toute ma confiance, et dont le caractère ne pourrait être payé par toutes les couronnes de l'univers. J'ai, depuis ma tendre jeunesse, été élevé avec elle; ainsi vous pouvez compter qu'il règne entre nous deux ces liens indissolubles de la tendresse et de l'attachement pour la vie que toutes les autres liaisons et la disproportion de l'âge ne cimentent jamais. Veuille le ciel que je périsse avant elle, et que ce dernier coup ne m'ôte pas la vie sans que cependant je la perde réellement! Si je vous parlais, je vous dirais mille choses que je ne puis confier à la plume, pour vous informer en gros de ce qui se passe ici.a Vous saurez que, jusqu'à présent, je n'ai rien perdu, et que, vu les circonstances où je suis, les affaires de mon armée vont aussi bien que cela se peut. Vous direz que ce n'est pas le tout; j'en conviens.b Enfin, mon cher frère, voici un terrible temps d'épreuve pour notre pauvre famille et pour tout ce qui est prussien. Si cela dure, il faudra se munir d'un cœur d'acier pour y résister. Mais, malgré tout ce que je sens, je fais bonne mine à mauvais jeu, et je tâche, autant qu'il est en moi, de ne point décourager des gens qu'il faut mener avec l'espérance et une noble confiance en eux-mêmes. Je n'ose pas poursuivre les matières que j'entame, et, de crainte d'en trop dire, je me renferme dans les assurances de la tendre amitié et de la haute estime avec laquelle je suis, mon cher frère, etc.

Si vous le pouvez, je vous conjure de faire dire de ma part à ma chère sœur de Baireuth tout ce que l'amitié la plus vive et la plus tendre pourra vous inspirer.


a Voyez t. IV, p. 227 et 228.

b Ici le Roi avait mis dans le texte : « Le reste pour le chiffre, » indiquant par là que le reste de la lettre devait être chiffré.