20. DU MÊME.

Paris, 27 avril 1744.



Sire,

Je me suis acquitté de la commission dont Votre Majesté m'a chargé, de lui faire le rapport des chirurgiens. Vous avez, Sire, deux maîtres admirables : selon le propre dire du fameux Petit, ils sont aussi habiles que lui-même; ils emmènent dix excellents compagnons avec eux, qui ont presque tous fait campagne, et qui ont été dans les hôpitaux, ce qui est un grand point, et leur donne beaucoup d'expérience. J'ai arrangé avec eux leurs appointements selon les ordres de V. M. Le tout vous reviendra, comme vous le désirez, à cinq mille écus de notre monnaie, juste, et pour le voyage des dix compagnons et des deux maîtres, je suis convenu que vous leur donnerez quatre mille livres pour se rendre d'ici à Berlin. Je vous prie donc de me les envoyer, afin de les faire partir le plus tôt que faire se pourra. Les deux maîtres désirent aussi que vous fassiez ici emplette, Sire, de deux paquets d'instruments qui sont nécessaires pour les opérations de chirurgie et pour les amputations, dont on a absolument besoin dans les hôpitaux. Ces instruments appartiendront et resteront pour l'usage de la chirurgie dans votre pays, Sire; le tout coû<535>tera douze cents livres. Il faudra donc, s'il vous plaît, m'envoyer en tout pour les chirurgiens cinq mille deux cents livres.

J'ai reçu depuis quelques jours de V. M. mille écus d'Allemagne, qui m'ont produit ici en argent de France, le change payé, trois mille huit cent dix livres, et V. M. doit pour deux tableaux de Lancret trois mille livres; de plus, pour la course de mon valet de chambre, qui a été en courrier à Wésel, la dépense se monte à huit cent soixante livres; de sorte que vous me devez, Sire, actuellement cinquante livres. Il faudra, Sire, que vous ayez la bonté de m'envoyer encore quelque argent, les deux mille huit cents écus que vous m'avez donnés en partant de Berlin n'étant pas suffisants pour payer tout ce que j'ai dépensé dans mon voyage, tant dans la route qu'à Paris, où il fait fort cher vivre. Je ménage pourtant le plus qu'il m'est possible; mais mon voyage est un peu plus long que je n'ai pensé.

J'ai mille peines à trouver des tableaux de Watteau, qui sont d'une rareté extrême. J'étais en marché pour deux pendants : mais on me les voulait vendre huit mille livres, ce que j'ai trouvé trop cher; j'espère qu'un de mes amis qui en a deux me les cédera à meilleur compte, et qui sont très-beaux.

Je ne manquerai pas de rapporter à V. M. toutes sortes de bonnes poudres d'odeur, et de la pommade de Rome, tout ce qui sera de meilleur de toute espèce; et pour le coup, Sire, vous aurez des jambons de neige; j'en ai un d'Espagne, que je vous rapporterai. Vous aurez aussi des pieds de vigne muscats et autres; mais on ne les fera partir qu'au mois d'octobre prochain, la saison étant trop avancée, et que la séve a déjà poussé.

Vous aurez incessamment de mes nouvelles, par lesquelles je vous manderai tout ce que j'aurai fait depuis quelque temps.

Dans ce moment, on vient de me dire que M. le prince de Conti a forcé un retranchement du côté de Villefranche,590-a et qu'il a pris mille hommes prisonniers, et qu'il a gagné les hauteurs de Villefranche, ce qui le mettra à même de prendre cette place sans perdre beaucoup de monde. M. de Court est à Toulon;590-b on compte qu'il y aura incessamment une affaire entre sa flotte et <536>les Anglais. Je finis ma lettre en renouvelant le profond respect avec lequel je suis, etc.


590-a Voyez t. III, p. 47.

590-b L. c., p.48.