<530>

17. DU COMTE DE ROTTEMBOURG.

Paris, 30 mars 1744.



Sire,

J'ai reçu la lettre dont Votre Majesté m'a honoré du 10 de ce mois, de Potsdam, par laquelle elle m'ordonne de lui faire avoir deux bons maîtres chirurgiens et douze ou quatorze garçons. Je me suis adressé à M. Petit, qui est le plus habile chirurgien de Paris et fort de mes amis, pour me faire avoir de bons sujets; il les a trouvés, et il m'assure qu'ils sont admirables. Les deux maîtres ne veulent pas venir à moins de trois mille six cents livres par an chacun, et les garçons à cent livres par mois; ce qui fait, en argent de notre pays, neuf cents et quelques écus pour chaque maître, et, pour les garçons, chacun trois cents écus. Voilà, Sire, le meilleur marché que j'aie pu tirer, et je les ai engagés, à condition que V. M. en serait contente. J'attends donc vos ordres sur cela. Ils demandent aussi à être défrayés de leur voyage à Berlin. Vous aurez donc la bonté de fixer la somme que vous leur destinez pour cela, et de m'envoyer l'argent nécessaire, afin que je les puisse faire partir le plus tôt que faire se pourra, en cas que le marché vous convienne.

Je vous ai aussi acheté deux tableaux admirables de Lancret,584-a qui sont des sujets charmants et très-gais; ce sont les deux chefs-d'œuvre de ce peintre; je les ai de la succession de feu M. le prince de Carignan, qui les a payés à ce peintre, dans le temps qu'il a été encore en vie, dix mille livres, et je les ai eus pour trois mille livres, ce qui fait sept cent cinquante écus de notre monnaie, que je vous prie, Sire, de me faire remettre pour les payer. Je suis aussi en marché pour vous avoir des Watteaux.584-a Il est très-difficile de trouver des tableaux de ces deux maîtres; mais V. M. se pourra flatter d'avoir deux sujets aussi bien traités et aussi agréables qu'il y en a dudit peintre; de plus, ils sont d'une belle grandeur pour bien orner votre nouvel appartement, où vous comptez les mettre, ce qui585-a été fort difficile à trouver, ce peintre n'ayant guère travaillé qu'en petits tableaux.

<531>Le maréchal de Noailles part d'ici pour se rendre à son armée le 22 avril, et tous les généraux de son armée le précéderont de deux jours. Le maréchal de Noailles commandera dans les trois évêchés, et se tiendra à Metz, dans son gouvernement. On m'a assuré pour très-sûr que le Roi fera la campagne,585-a et pendant que S. M. sera en campagne, madame la duchesse de Châteauroux, avec d'autres dames, ira à Saint-Amand, qui est en Flandre, sous prétexte d'y prendre des eaux.

Tout le monde veut que le comte de Saxe sera fait maréchal de France; et comme il est luthérien, et qu'il faut faire abjuration, on lui donne trente ans pour faire le serment entre les mains du Roi. J'ai vu hier cedit comte; il a toujours des projets aussi extraordinaires qu'à son ordinaire.

Je ne vous mande rien de ce qui regarde les flottes, Sire, M. de Chambrier vous ayant instruit de cela, et qu'il est inutile de vous en faire des répétitions continuelles.

L'armée de M. le maréchal de Noailles en Flandre sera forte de quatre-vingt-quatorze bataillons et de cent soixante-huit escadrons. Le bataillon doit être de six cent quatre-vingts hommes, mais je suis sûr qu'ils ne sont effectivement que de six cents; les escadrons sont de cent cinquante, et complets en hommes et chevaux.

L'armée de M. le maréchal de Coigny sur le Rhin sera de soixante bataillons et de cent escadrons, et il y aura des troupes à portée de l'Alsace pour renforcer cette armée, en cas que le prince Charles y porte des forces considérables.

Je vous envoie ci-joint, Sire, des vers qui ont été faits sur M. de Voltaire.

J'espère, Sire, que vous aurez la bonté de me permettre de revenir aussitôt que nos affaires seront arrangées ici. Je suis avec un très-profond respect, etc.


584-a Voyez t. XIV, p. 36, et t. XVIII, p. 58.

585-a Voyez t. III, p. 49 et suivantes.