30. AU COMTE DE MANTEUFFEL.

Rheinsberg, le 23 ou je ne sais combien d'août 1736.



Mon cher Quinze-Vingt,

Comment pouvez-vous soupçonner que vos lettres m'importunent, aimables et instructives comme elles sont? Il n'y doit pas avoir la moindre chose capable de porter obstacle à votre dessein; et une fois pour toutes, je vous assure que ce qui me vient de vous m'est toujours agréable. Je viens à l'article du sieur Wolff, et je reconnais en cette rencontre, comme en beaucoup d'autres, la noblesse des sentiments de notre fameux philosophe, qui ne croit pas déroger en remerciant ceux à qui il est redevable, en partie, de l'établissement de sa réputation.

Je vous renvoie ci-joint la lettre du sieur Voltaire, qui, quoique remplie d'esprit, ne me satisfait pas tout à fait au sujet du poëme de la Pucelle,536-a que j'aurais fort désiré d'avoir. J'avoue cependant que j'ai été ravi de voir du caractère original d'un homme qui écrit si spirituellement et si élégamment.

Si l'adjudant du duc de Weissenfels536-b a de l'esprit, je vous <486>prie de me l'envoyer; et en cas que la matière prévale, je vous prie de ne m'envoyer que la simple notification. Vous voyez par mon procédé que j'agis fort naturellement.

A présent que le sexe est arrivé ici,536-c il semble que l'endroit en reçoive un nouveau lustre; la conversation n'en est que plus animée, et le plaisir en est plus brillant. Il ne manquerait, pour donner le dernier coup de maître à ce séjour, que la présence du digne Quinze-Vingt et celle de Gresset; je le répète en dépit de la prudence, et, ne me fût-il pas permis de le dire, je n'en penserais pas moins aux sentiments d'estime avec lesquels je suis, etc.


536-a Voyez t. XI, p. 11, et t. XXII, p. 137, 163, 164 et 187.

536-b M. de Rechenberg, qui était venu à Berlin notifier la mort du Duc. Voyez le Journal secret du baron de Seckendorff', p. 153.

536-c Voyez J.-D.-E. Preuss, Friedrich der Grosse mit seinen Verwandten und Freunden, p. 64 à 66; voyez aussi le Journal secret du baron de Seckendorff, p. 148.