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10. DU COMTE DE MANTEUFFEL.

Berlin, 11 février 1786.



Monseigneur,

Votre Altesse Royale me met à une épreuve terrible en m'ordonnant de faire la critique de sa lettre au prince d'Orange; jamais je ne me vis dans un tel embarras. Dois-je lui obéir, au risque d'y échouer? Dois-je m'en excuser et désobéir au prince du monde le plus digne de me commander? Je ne trouve pas moins de danger dans l'un que dans l'autre. Cependant V. A. R. me l'ordonne, dit-elle, bien sérieusement. Cela est facile à dire, monseigneur; mais si telle était votre volonté, il fallait, s'il m'est permis de le dire, m'envoyer une tout autre pièce, ou, si V. A. R. voulait que ce fût précisément celle-là, il faudrait l'avoir tournée tout autrement. Il faudrait l'avoir remplie de pensées moins justes et d'expressions moins choisies. Il fallait l'écrire, en un mot, dans le goût de l'Épithalame ci-joint, qui m'a été envoyé de Hollande, et qui est, à mon avis, la pièce la plus susceptible de critique qui ait jamais vu la presse. C'était là le vrai moyen de me donner de l'exercice; mais de la lettre en question, telle qu'elle est, que voulez-vous, monseigneur, que j'en fasse? Que si je lui rendais justice en la louant, V. A. R., après ce qu'elle me fait la grâce de me mander, m'accuserait de désobéissance et de flatterie; et si j'entreprenais de la critiquer, si j'étais assez téméraire pour y chercher des défauts qui ne s'y trouvent pas, je ne m'en tirerais jamais qu'à ma confusion, et il m'en coûterait infailliblement l'idée favorable que j'ose me flatter que V. A. R. a conçue de moi jusqu'ici.

Or, comme cette idée est l'unique motif des bonnes grâces dont V. A. R. a daigné m'assurer tant de fois, et que celles-ci sont hors de prix pour moi, j'ose vous donner à penser, monseigneur, si je puis travailler moi-même à les perdre en détruisant le seul fondement sur lequel je les crois bâties.

J'ai cependant imaginé un expédient par lequel, sans remplir la rigueur de votre commandement, je crois avoir satisfait à mon empressement d'y obéir, autant que mon peu de capacité et le <412>profond respect que je dois à V. A. R. me le permettent. J'ai essayé, quoique en tremblant, de composer une espèce d'imitation de la lettre en question. J'ai tâché d'en conserver toutes les pensées, tout le tour, tout le sens, et j'ai exprimé tout cela le mieux que j'ai pu, à ma façon. Quelque inférieure qu'elle soit à l'original, je prends la liberté de la joindre ici, me promettant de la clémence de V. A. R. qu'elle la regardera uniquement comme un effet de ses ordres, qui me seront toujours sacrés, à quelque occasion qu'elle puisse m'en honorer, et comme une marque de la dévotion illimitée avec laquelle je fais gloire d'être, etc.

IMITATION.

Jamais étrennes ne me furent plus agréables que celles dont vous me régalez avec tant de politesse à l'occasion du nouvel an et à celle de mon jour de naissance. Le caractère de vérité répandu dans toutes les assurances d'amitié que vous me donnez en augmente infiniment le prix. J'ose vous assurer à mon tour que la manière obligeante avec laquelle vous vous intéressez à ce qui me regarde est une espèce de reconnaissance que vous devez à la parfaite estime que je me sens pour vous. Daignez distinguer ceci d'un compliment ordinaire, et soyez persuadé, mon cher prince, que mon cœur plein de sincérité ne démentira jamais ma plume ni mes paroles. Quoique le jour de l'an, jour qu'un ancien usage a voué aux compliments, soit passé depuis près de deux mois, sans que je vous aie fait part des vœux que je formai alors sur votre sujet, je ne vous crois pas assez coutumier, ni assez injuste, pour soupçonner vos amis de n'en faire pour vous que par habitude, ou pour se conformer à la mode anciennement attachée à ce période. Vous auriez tort au moins de faire tomber un tel soupçon sur moi, étant sûr que les bons souhaits que je fais journellement vous regardent plus que personne, en quelque temps qu'ils se fassent. Mais vous permettrez, s'il vous plaît, que, à la faveur de l'ancienne usance, je vous découvre aujourd'hui le fond d'un cœur qui ne met jamais de frein aux vœux qu'il fait pour la prospérité de ceux qui lui sont aussi chers que vous, et que je souhaite d'avoir occasion de vous écrire encore dans le cours de cette année sous un autre titre que sous celui de prince d'Orange simplement.

Il faut espérer que messieurs les Bataves ouvriront enfin les yeux sur leur véritable intérêt, et que, pour ranimer leur ancienne valeur <413>et pour rétablir le bon ordre parmi les troupes et dans leur gouvernement, ils feront ce qu'ils auraient dû faire il y a longtemps; je veux dire qu'ils ne tarderont plus de vous mettre à la tête de leur république, dont vous seriez sans contredit le plus bel ornement et le plus solide appui. Puissent ces vœux être des présages infaillibles!

De quelque façon cependant qu'il plaise au ciel d'en disposer, je vous prie de croire, mon cher prince, que je suis incapable de sacrifier à la fortune ou à ses idoles, mais que je m'attache toujours aux sentiments et à la personne de mes amis. Ce principe m'est naturel, et il est si profondément enraciné dans mon cœur, que je ne m'en départirai de ma vie, me faisant un plaisir infini de vous montrer en toute occasion combien je suis, etc.

ÉPITHALAME POUR MONSEIGNEUR LE DUC DE LORRAINE.457-a

ODE.

Pour la pompe qui se prépare,
Savantes Sœurs, docte Apollon,
Aux nobles accents de Pindare
Mêlez les jeux d'Anacréon.
Ciel! quel spectacle magnifique!
Ici tout est grand, héroïque;
C'est le cercle des demi-dieux.
Que d'ailleurs on voit d'allégresse!
Les Ris, les Plaisirs, la Jeunesse,
De mille attraits frappent les yeux.

Nobles amants, vos chastes flammes
Voient enfin cet heureux jour
Où l'hymen doit unir vos âmes,
Pour vivre d'un parfait amour.
Suivez le dieu de l'hyménée;
Si sa tète est environnée
De lauriers, de myrte et de fleurs,
Il vous donne l'heureux présage
De voir toujours couler votre âge
Dans la gloire et dans les douceurs.

<414>Saintes déités du Parnasse,
Formez deux agréables chœurs,

Et que les Grâces, prenant place,
Vous prêtent leurs charmes vainqueurs.
Tout plaît et touche avec les Grâces,
Et l'on voit naître sur leurs traces
Mille appas et mille agréments.
Leurs beautés animent les flammes;
Elles réveillent dans les âmes
L'ardeur des plus doux sentiments.

Brillants esprits, troupes savantes
A former des accords nouveaux,
Chantez les grâces ravissantes
De l'héroïne et du héros.
Princesse, tous les vœux du monde
Sont que dans une paix profonde
Vous puissiez jouir des grandeurs,
Et que le flambeau d'hyménée,
Qui vous luit en cette journée,
Soit toujours brûlant dans vos cœurs.

Le ciel même vous en assure :
Le digne objet de tous vos vœux
N'est-il pas d'une source pure
De princes en vertu fameux?
Intrépides dans les alarmes,
S'ils ont brillé parmi les armes,
En sagesse ils brillèrent plus.
Quel plus noble choix pouvait faire
Le héros votre auguste père,
Qu'en vous unissant aux vertus?

Prince, en qui l'univers contemple
Une vive et douce splendeur,
Quelle dot plus riche et plus ample
Pouvait s'offrir à votre ardeur?
C'est peu qu'elle charme la vue;
Tout illustre, elle est descendue

D'une auguste suite d'aïeux,
De princes grands et magnanimes,
Héros qu'en mille dons sublimes
Exaltèrent toujours les cieux.

<415>Mais déjà la pompe commence.
Charmant, enlevant tous les cœurs,
Un auguste héros s'avance
Entre mille douces clameurs.
C'est lui que l'Europe alarmée,
Et tremblante d'être opprimée,
A vu lui rendre la paix.
Que de chefs à mine guerrière,
Empruntant de lui leur lumière,
Mènent de ravissants objets!

Dans le saint temple tout arrive;
C'est là que, sous les nœuds sacrés,
L'un et l'autre cœur se captive
Pour n'être jamais séparés.
Mais quel bruit fait trembler la terre?
Ne craignez plus ici la guerre,
Grâces, Muses, rassurez-vous;
Ce grand bruit n'est qu'un bruit de joie
Sur le bien que le ciel envoie
Aux amants devenus époux.

La pompe encor plus éclatante
Revient d'un pas majestueux.
Suivons; quel éclat se présente!
Tels étaient les festins des dieux.
Les déesses d'intelligence
Avec tendresse et diligence
Servent les fortunés époux,
Et Flore verse sur leurs têtes
Mille fleurs qu'elle a toujours prêtes,
Et dit d'un air charmant et doux :

« Princesse en qui le ciel assemble
Ses trésors les plus précieux,
Et qui nous faites voir ensemble
Vertus en l'âme, attraits aux yeux,
L'hymen ne vous promet que roses;
De nouvelles, toujours écloses,
Vous ouvriront leur tendre sein.
Les Jeux, les Ris et les Délices,
Diligents dans leurs doux offices,
Vous feront le plus beau destin.

<416>Junon, avec Pallas unie,
Présidera sur tous vos pas;
L'aimable Vénus Uranie
Y fera naître mille appas.
Qu'à nos vœux le ciel favorable
Du cher objet d'un prince aimable
Réjouisse bientôt vos yeux!
Qu'il soit l'ornement de l'Empire,
Et qu'en lui l'univers admire
Les vertus de tous ses aïeux! »

Mais, à ces mots de la déesse,
Quels voiles se sont répandus?
Et comment, sous leur ombre épaisse.
Les époux sont-ils disparus?
O tendre et charmant hyménée!
Tu marques l'heure fortunée,
Pour commencer leurs plus beaux jours;
Tu les as mis aux mains des Grâces;
Avec les Jeux, suivez leurs traces,
Entrez, fermez la porte, Amours.


457-a François duc de Lorraine épousa l'archiduchesse Marie-Thérèse le 12 février 1736.