<98>

197. DU MÊME.

Paris, 30 mars 1778.



Sire,

Je voulais d'abord commencer cette lettre par dire encore un mot à V. M. de mon affliction et de mon innocence. Mais, Sire, les petits intérêts doivent céder aux grands, et mon cœur m'entraîne à vous parler d'abord de la gloire dont vous vous couvrez en ce moment aux yeux de toute l'Europe, en vous déclarant le protecteur de l'Allemagne, et le défenseur des princes qui la composent. J'ignore, Sire, et je ne cherche point à pénétrer quelle sera la suite de ce procédé aussi noble que généreux, qui va faire une époque bien respectable dans la vie déjà si glorieuse de V. M. Je fais seulement des vœux pour votre santé, votre conservation et votre bonheur, et pour l'heureux succès de l'exemple si digne de vous que vous donnez en ce moment aux autres souverains.

Je viens actuellement, Sire, pour un moment encore, à ce qui me regarde. Je ne sais s'il a couru réellement dans Paris et dans Versailles quelques mots de vos lettres dont on vous ait su mauvais gré; mais si ces copies ne sont pas fautives et infidèles, comme cela est arrivé plusieurs fois, il est bien sûr qu'elles ne viennent pas de moi, ayant eu même la circonspection de ne pas écrire un mot à Voltaire de ce qui pouvait le regarder, dans la crainte qu'il n'en fît usage, et ne lui en ayant pas même fait part depuis qu'il est ici, par le même motif. Il est en ce moment à Paris, bien fêté et bien malade. Il vient de nous donner une tragédiea qui est encore un ouvrage étonnant pour son âge.

V. M. est en ce moment si occupée des affaires les plus importantes, que je crains d'abuser de ses moments. Je me permettrai seulement d'ajouter un mot sur ce qu'elle m'a fait l'honneur de me dire au sujet de ma lettre sur madame Geoffrin, que si je n'avais plus ni matin ni soir, j'avais encore le midi et l'après-midi, qui peuvent me servir de consolation. Hélas! Sire (car je ne puis croire que votre humanité ait voulu plaisanter sur mon état), ces deux parties de la journée sont encore plus tristes pour moi que


a Irène, représentée au Théâtre français le 16 mars 1778.