<89>rir? ou bien de diminuer la perte d'une grande bataille, pour ne pas décourager une nation entière? ou enfin de dissimuler un malheur ou un danger auquel un homme serait trop sensible, si on le lui annonçait crûment, afin d'avoir le temps de l'y préparer? S'il s'agit de religion, il paraît, par tout ce qui nous est parvenu de l'antiquité, que l'ambition s'en est servie pour s'élever. Mahomet et tant d'autres chefs de sectes attestent cette vérité. Ils ont été sans doute coupables; mais, d'autre part, considérez qu'il est peu d'hommes qui ne soient timides et crédules, et que si on ne leur avait annoncé une religion, eux-mêmes ils s'en seraient fait une. Voilà pourquoi on a vu et trouvé des cultes établis presque sur la surface de tout notre globe. Sitôt que ces religions ont pris racine, le peuple fanatique veut qu'on les respecte; et malheur à ceux qui voudraient l'en détromper, parce que très-peu d'hommes ont l'esprit assez juste pour raisonner conséquemment. Cela n'empêche pas que tout philosophe ne doive combattre le fanatisme, parce que ce délire produit des horreurs, des crimes, et les actions les plus abominables.

J'en viens au remèdea que vous me demandez. Vous receviez ci-joint toutes les explications que vous désirez, et même une petite dose de cette préparation; la chose est certaine, l'inventeur a opéré des cures merveilleuses, dont il y a des milliers de témoins. Il faudrait en faire prendre au parlement d'Angleterre, car il semble que quelque chien enragé l'a mordu. Ces gens se conduisent comme des insensés. Vous aurez sûrement la guerre avec ces goddam; les colonies deviendront indépendantes, et la France regagnera le Canada, qu'on lui a enlevé. Je souhaiterais que cet oracle fût plus certain que ceux de Calchas.a

Vous me laissez toujours ce qui était au fond de la boîte de Pandore, l'espérance de vous voir; mais vous savez le proverbe : On désespère quand on espère toujours.b Si je ne puis vous voir dans ce monde-ci, je vous appointerai aux champs Élysées,


a Voyez t. XXIV, p. 32.

b

Belle Philis, on désespère
Alors qu'on espère toujours.

Molière,

Le Misanthrope

, acte I, scène II.

a Contre la morsure des chiens enragés.