<83>que le général Gages pourrait les soumettre avec cinq ou six mille hommes qu'il commandait; qu'ils ont pris des troupes à leur solde, sans avoir songé aux vaisseaux qui devaient les transporter en Amérique; qu'ils ont acheté sur le marché de Londres les provisions et vivres pour cette armée qui devait combattre en Pensylvanie; enfin il n'y a que des fautes à reprocher à ces insulaires. Pourquoi ont-ils séparé à la distance de trois cents milles le corps que Carleton commandait, et celui à la tête duquel est maintenant Burgoyne? Comment ces corps pouvaient-ils, dans cet éloignement, se porter des secours mutuels? Fallait-il encore, dans une telle situation, se brouiller de gaîté de cœur avec les Russes, indisposer les Hollandais par leur insolente arrogance, et multiplier le nombre de leurs ennemis par leur mauvaise conduite? Au reste, je commence par vous déclarer que les voiles épais qui cachent l'avenir le dérobent aussi bien à mes yeux qu'à ceux des autres; mais si je voulais, à l'exemple de Cicéron,a prévoir ce que certaines combinaisons semblent annoncer, je pourrais peut-être hasarder de dire qu'il paraît que les colonies se rendront indépendantes, parce que certainement cette campagne ne les écrasera pas; que le gouvernement des goddam aura de la peine à fouiller dans les bourses des particuliers pour fournir à la campagne prochaine; qu'entre ci et le printemps prochain la guerre sera déclarée entre la France et l'Angleterre; qu'on se battra dans les colonies réciproquement, et que peut-être la France pourrait se remettre en possession du Canada, si la fortune ne lui est pas trop contraire. Voilà des rêves, puisque vous en voulez; il en sera ce qu'il plaira à la fatalité, et, quoi qu'il arrive, cela ne nous empêchera pas de semer de fleurs le peu de chemin qui nous reste.

Je ne sais ce que Grimm est devenu. On dit qu'il est parti de Pétersbourg avec un autre monarque qui voyage incognito; il se pourrait donc bien qu'il fût actuellement à Stockholm; je crois pourtant que vous le reverrez à Paris. Pour vous, mon cher d'Alembert, je ne sais si je vous verrai ou ne vous verrai jamais. Cela ne m'empêche pas de vous souhaiter toutes sortes


a Peut-être Frédéric fait-il allusion à un passage qui se trouve dans Cicéron. De divinatione, liv. II, chap. 3.