<58>que d'autres soient chargés que moi, ouvrent les lettres sur la route d'Allemagne (car je n'ose dire sur celle de France) ont été apparemment plus empressés encore qu'à l'ordinaire de lire, pour leur instruction ou pour leur triste amusement, ce qu'un grand roi veut bien dire à un pauvre philosophe affligé, et ce que le pauvre philosophe répond au grand roi. On ne peut nier, Sire, que ces commis ne soient vraiment et en tout sens des gens de lettres, et des gens de lettres curieux des belles choses; mais je crains bien que ces littérateurs si curieux, et surtout si honnêtes, ne soient dignes ni de s'instruire en lisant vos lettres, ni même de s'attrister en lisant les miennes. Quoi qu'il en soit, je leur serais au moins fort obligé de ne pas retarder de plusieurs jours, et même de quelques heures, la consolation si douce et si nécessaire à mon cœur que les bontés de V. M. me font éprouver dans la malheureuse circonstance où je me trouve. Je ne sais plus, Sire, comment vous exprimer à quel point ces bontés si touchantes pénètrent mon âme, et combien cette âme, qui ne se croyait plus ouverte qu'à la douleur, trouve encore de sensibilité en elle pour la reconnaissance qu'elle vous doit à tant de titres. Cette reconnaissance n'est pas un sentiment réservé pour moi seul; tous mes amis le partagent avec la plus tendre vénération pour votre personne. Je voudrais que V. M., sensible comme elle est à la véritable gloire, c'est-à-dire, aux hommages des hommes éclairés et vertueux, pût entendre ce qu'ils disent à la lecture de ces lettres; qu'elle pût apprendre de leur propre bouche combien le grand Frédéric, depuis longtemps l'objet de leurs éloges et de leur admiration, leur paraît digne encore d'être aimé. J'ose croire que ce concert unanime de louanges si douces et si vraies toucherait autant V. M. que les cris de victoire de ses soldats sur les champs de bataille où elle a triomphé tant de fois. Pour moi, Sire, je fais mieux encore que de vous admirer et de vous chérir; je vous écoute, et je profite de vos leçons; je fais tout ce qui est en moi pour me distraire; j'essaye différentes sortes de travaux, d'études, de lectures, d'amusements même; je rassemble chez moi quelques amis certains jours de la semaine; je vais les chercher les autres jours; je prends le plus de part que je puis à leur conversation; je tâche de me persuader que tout