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18. DU MARQUIS DE CONDORCET. (1786.)



Sire,

La bonté avec laquelle Votre Majesté a daigné recevoir l'Éloge de M. d'Alembert me fait espérer qu'elle voudra bien me pardonner la liberté que je prends de lui présenter un exemplaire du même ouvrage.

J'y ai moins cherché à célébrer les vertus et le génie de mon ami qu'à les faire connaître. Il était devenu depuis quelques années l'objet de la haine d'une foule de petites cabales. Il avait pour ennemis tous ceux qui savaient ou qui croyaient qu'il n'était pas de leur avis sur quelqu'un des objets qui produisent des disputes parmi les hommes, depuis la religion jusqu'à la musique; et ces ennemis étaient parvenus, non à détruire sa réputation, mais à donner de lui de très-fausses idées. V. M. avait appris autrefois à la nation française ce que valait M. d'Alembert;a mais elle paraissait l'avoir trop oublié.

Je n'ai rien dit de ses opinions religieuses, de sa haine pour le fanatisme et l'intolérance; je n'aurais pu en parler sans blesser la vérité, et j'ai mieux aimé garder un silence absolu.

Si V. M., Sire, a daigné se faire lire un ouvrage si peu digne d'elle, si l'amitié dont elle a honoré M. d'Alembert a pu l'emporter sur les défauts du portrait que j'ai essayé d'en tracer, s'il lui a paru un peu ressemblant malgré ses défauts, j'aurai obtenu le prix le plus flatteur, et, si j'ose le dire, celui qui pouvait le plus me toucher.

Je suis avec le plus profond respect, etc.


a Condorcet dit dans son Éloge de M. d'Alembert : « Un roi déjà illustré par cinq victoires, et dont la gloire devait croître encore, avertit enfin la France (en 1754) qu'elle avait un grand homme de plus; ses bienfaits vinrent chercher M. d'Alembert, et il y joignit des témoignages d'estime et d'amitié fort au-dessus de ses bienfaits. » Voyez ci-dessus, p. 422.