<337>réserve devrait rendre M. le colonel aussi mystérieux; mais il n'a point de secret pour V. M. Il dit que son impératrice l'ayant créé vétéran sans qu'il ait été novice, il en a inféré qu'il pouvait postuler les invalides. Il reste donc colonel apraxin, ou sans pratique et inutile, à condition toutefois que s'il prend fantaisie à l'Impératrice de lui dire, Marche, il ne se le fera pas dire deux fois, et sur-le-champ il fait son paquet pour courir à Pétersbourg, non sans faire ses dévotions au temple de la Renommée situé entre la Sprée et la Havel. Voilà de quoi il est convenu avec son auguste souveraine. Tant qu'elle ne parlera pas, il se tiendra tranquille. En attendant, il s'amuse à lui dépenser son argent à Paris et à Rome tant qu'il peut, et il ne laisse pas, en antiques, tableaux et autres inutilités, d'être un homme très-cher pour la Russie.

M. d'Alembert m'a remis un écrit du Marc-Aurèle moderne sur la littérature de sa patrie,a et j'ai reçu ce don royal avec le plus profond respect et la plus vive reconnaissance. Marc-Aurèle Frédéric avait, entre autres, aussi cela de commun avec Marc-Aurèle Antonin, que celui-ci dédaignait d'écrire en latin, et écrivait en grec, comme l'autre dédaigne d'écrire dans sa langue, et a adopté de préférence l'idiome des Racine et des Voltaire. Les Allemands disent que les dons qu'il leur annonce et promet leur sont déjà en grande partie arrivés; que la langue allemande n'est plus ce jargon barbare qu'on écrivait il y a cinquante ou soixante ans, dur, diffus, embarrassé; qu'elle a pris de l'harmonie et du nombre, de la précision et de l'énergie; que, étant par elle-même d'une très-grande richesse, elle a pris en peu de temps toutes les formes désirables. Quant à moi, exilé de ma patrie depuis ma première jeunesse, n'ayant presque aucun temps, depuis nombre d'années, à donner à la lecture, je ne suis pas en état de juger ce procès; mais il est vrai que toutes les fois que j'ai traversé l'Allemagne, on m'a montré des morceaux parfaitement bien écrits, et je n'y ai plus retrouvé l'ancien jargon tudesque, d'où j'ai conclu qu'il était arrivé une grande révolution en Allemagne dans les esprits. Cela m'a paru assez simple. Un pays qui a donné dans un siècle Frédéric et Catherine m'a paru le premier pays de


a Voyez ci-dessus, p. 191 et 192.