<263>Sans doute le plaisir de faire des heureux et de récompenser le mérite serait très-sensible pour moi; mais il est fort incertain que je fisse des heureux, et il est infaillible que je ferais des mécontents et des ingrats. Ainsi, sans perdre les ennemis que je puis avoir en France, où je ne suis cependant sur le chemin de personne, j'irais à trois cents lieues en chercher de nouveaux. J'en trouverais, dès mon arrivée, dans ceux qui auraient pu aspirer à celte place, dans leurs partisans et dans leurs créatures; et toutes mes précautions n'empêcheraient pas que bien des gens ne se plaignissent, et ne cherchassent à me rendre la vie désagréable. Selon ma manière de penser, ce serait pour moi un poison lent que la fortune et la considération attachées à ma place ne pourraient déraciner.

Je n'ai pas besoin d'ajouter, monsieur, que rien ne pourrait me résoudre à accepter, du vivant de M. de Maupertuis, sa survivance, et à venir, pour ainsi dire, à Berlin recueillir sa succession. Il était mon ami; je ne puis croire, comme on me l'a mandé, qu'il ait cherché, malgré ma recommandation, à nuire à M. l'abbé de Prades; mais quand j'aurais ce reproche à lui faire, l'état déplorable où il est suffirait pour m'engager à une plus grande délicatesse dans les procédés. Cependant cet état, quelque fâcheux qu'il soit, peut durer longtemps, et peut demander qu'on lui donne dès à présent un coadjuteur; en ce cas, ce serait un nouveau motif pour moi de ne me pas déplacer. Voilà, monsieur, les raisons qui me retiennent dans ma patrie; je serais au désespoir que S. M. les désapprouvât; je me flatte, au contraire, que ma philosophie et ma franchise, bien loin de me nuire auprès de lui, m'affermiront dans son estime. Plein de confiance en sa bonté, sa sagesse et sa vertu, bien plus chères à mes yeux que sa couronne, je me jette à ses pieds, et je le supplie d'être persuadé qu'un des plus grands regrets que j'aurai de ma vie sera de ne pouvoir profiter des bienfaits d'un prince aussi digne de l'être, aussi fait pour commander aux hommes et pour les éclairer. Je m'attendris en vous écrivant; je vous prie d'assurer le Roi que je conserverai toute ma vie pour sa personne l'attachement le plus désintéressé, le plus fidèle et le plus respectueux, et que je serai toujours son sujet au moins dans le cœur, puisque c'est la seule façon dont je puisse l'être. Si la persécution et le malheur m'obligent un jour à quitter ma patrie et mes amis, ce sera dans ses Etats que j'irai chercher un asile; je ne lui demanderai que la satisfaction d'aller mourir auprès de lui libre et pauvre.

Au reste, je ne dois point vous dissimuler, monsieur, que longtemps avant le dessein que le Roi vous a confié, le bruit s'est répandu, sans fondement comme tant d'autres, que S. M. songeait à moi pour la place de président J'ai répondu à ceux qui m'en ont parlé que je n'avais entendu parler de rien, et qu'on me faisait beau-