<241>faute de discernement, mais personne dans ces contrées n'attribue aux Français le malheur que les batteries flottantes des Espagnols ont essuyé à Gibraltar.a On croit que Sa Majesté Catholique a résolu absolument de prendre la lune avec les dents, et que des sujets fidèles ont inutilement épuisé leurs efforts pour la satisfaire. Toutefois, si Gibraltar n'est pas ravitaillé par les Anglais, la faim fera réussir ce que les batteries flottantes n'ont pu opérer.

Vous enviez la paix dont nous jouissons, sans penser qu'alternativement le sort des États est de se trouver tantôt acteurs, tantôt spectateurs sur le grand théâtre des événements. A peine descendions-nous des tréteaux, que vous y montâtes; et si la paix se fait à l'occident, la grande Catherine fera parler d'elle aux lieux où nous voyons le soleil sortir des bras d'Amphitrite. Cette phrase, toute poétique qu'elle paraît, n'est pas déplacée quand il s'agit de projets qui exaltent l'imagination, et qui font naître les plus vastes combinaisons. C'est ainsi que l'amplification et l'hyperbole sont comme des tubes qui agrandissent nos misères aux yeux de notre imagination. Ne me demandez pas si l'abbé Raynal en fera usage. Je sais qu'il assemble des matériaux, et qu'il trouve parmi les réfugiés tous les renseignements qui lui sont nécessaires pour étaler les effets qu'a produits la révocation de l'édit de Nantes. Il montrera le résultat de cette fausse opération de Louis XIV; il parlera des pertes que cause l'esprit persécuteur à la France; mais la Sorbonne lui répondra avec Bossuet : « Agiles instruments d'un prompt écrivain et d'une main diligente, hâtez-vous de mettre Louis avec les Constantin et les Théodose. Apprenez par Sozomène que, depuis que Dieu suscita des princes chrétiens, et qu'ils eurent défendu les conventicules, la loi ne permettait pas aux hérétiques d'en assembler en public, de sorte que la plus grande partie se réunissait à l'Église, et les opiniâtres mouraient sans postérité, parce qu'ils ne pouvaient plus communiquer entre eux, ni enseigner leurs dogmes. Ce que souffre un pays par la dépopulation est un mal pour les mondains; mais les cœurs divinement éclairés ne prennent pour des maux réels que ceux qui les détournent, eux  »


a Voyez t. XXIV, p. 395.