<238>le fait que trop sentir, car j'en ai bien souffert depuis un mois, au point de craindre une inflammation. Je me suis mis entre les mains du plus habile médecin de ce pays-ci, et dans ce moment la nature ou lui me soulage; Dieu sait jusqu'où cela durera. Mais c'est trop entretenir V. M. de ce que je souffre; j'aime bien mieux lui dire ou plutôt lui répéter tout ce que je sens pour elle depuis près de quarante années que j'ai commencé à éprouver ses bontés. Les lettres dont elle veut bien m'honorer en sont un nouveau témoignage, qui m'est d'autant plus précieux, que, dans l'état où je suis, je ne puis plus espérer d'aller moi-même lui en porter l'hommage. Au moins, Sire, ces lettres me consolent des maux que je sens, et me dédommagent en partie du bien dont je suis privé, d'entendre de la bouche même de V. M. ce qu'elle a la bonté de m'écrire. J'ose dire que votre siècle, qui vous appelle depuis si longtemps le roi philosophe, et avec tant de justice, ne sait pas autant que moi à quel point vous l'êtes. Il n'a pas, comme moi, l'avantage de lire dans vos lettres la morale si vraie, si saine, si utile, dont elles sont remplies, cette morale à la portée de l'homme, et non pas gigantesque et exagérée comme celle des stoïciens et d'Épictète, cette morale qui vous a rendu plus grand encore dans les revers que dans les succès, cette morale, enfin, dont vous êtes à la fois pour moi la leçon et l'exemple.

J'ai prié, Sire, M. le marquis d'Esterno, qui vient de partir pour résider en qualité de ministre de France auprès de V. M., de mettre à ses pieds, s'il en trouvait l'occasion, tous les sentiments dont je suis pénétré pour elle, et ma douleur de ne pouvoir aller moi-même les lui exprimer. M. le marquis d'Esterno est un homme sage, honnête, vertueux et instruit; j'ai lieu de croire que V. M. en sera contente. Puisse-t-il continuer à entretenir la bonne intelligence qui a été si longtemps entre la France et V. M., qu'une femme et un prestoleta avaient détruite, et qui paraît être revenue, ou à peu près, dans son état naturel! Hélas! Sire, vous jouissez de la paix et de toute votre gloire, et notre pauvre France n'a en ce moment ni l'une ni l'autre. Que pense V. M. de la belle équipée que nous venons de faire devant


a Madame de Pompadour et le cardinal de Bernis. Voyez t. IV, p. 38, 116, 255 et 256; t. XV, p. 89; et t. XIX, p. 430.