<221>tout très-ménager de son temps, que je respecte autant que sa personne.

Je suis avec la plus profonde vénération, etc.

254. A D'ALEMBERT.

Le 26 avril 1782.

Non, mon cher Anaxagoras, vous n'êtes pas entré dans le sens de ma lettre. A Dieu ne plaise que je m'en prenne à vous pour m'avoir envoyé ce nouveau système de philosophie. Il ne s'agit pas d'un sage comme vous dans ce qui a excité mon zèle; ce n'est que contre l'auteur que je m'emporte; je ne puis lui pardonner que, sur la fin du dix-huitième siècle, il veuille s'écarter de l'expérience pour s'égarer dans un labyrinthe de chimères que son imagination enfante. Que deviendra la philosophie, si on s'écarte du chemin sage qu'on lui a tracé, et qu'on lui ôte le bâton de l'analogie et celui de l'expérience pour se conduire? Si le livre de ce songe-creux prend faveur, voilà d'abord nombre de jeunes écervelés qui vous débiteront des paradoxes pour se faire lire, la philosophie retombera, comme jadis dans Athènes, entre les mains des sophistes, et l'on substituera aux vérités évidentes un jargon obscur et entortillé de phrases métaphysiques, qui replongera la France dans l'ignorance. J'aime le siècle où je suis né; je m'affectionne à tous ceux qui l'honorent, et j'abhorre tout ce qui nous menace de replonger notre postérité dans la barbarie. Que des moines ambitieux persécutent les philosophes, et s'élèvent contre les vérités les mieux prouvées par les apôtres de la raison, je ne l'approuve pas : cependant je vois qu'ils agissent selon les principes de leur intérêt, qui veut qu'ils dominent seuls sur les hommes. Mais que de prétendus philosophes sapent eux-mêmes les vérités les mieux reconnues, qu'ils dégradent la philosophie aillant qu'il est en eux, qu'ils ressuscitent les erreurs de nos ancêtres, en vérité, c'est ce qui n'est pas pardonnable.