<191>tions plus différentes et plus évidemment distinguées, qui n'ont entre elles rien de commun, comme ces rivières qui, depuis leur confluent jusqu'à une très-grande distance, coulent l'une auprès de l'autre sans se mêler. Ce sujet, Sire, fournirait beaucoup; mais tout cela ne serait bon à dire qu'à l'oreille de V. M., et malheureusement j'en suis trop loin. Je puis seulement me permettre de lui dire, pour échantillon de notre double caractère national, que, d'un côté, les bons citoyens et les gens sages ne désirent que la fin d'une guerre jusqu'à présent très-ruineuse sans beaucoup d'avantages, et que, de l'autre, tous nos agréables ne sont occupés que de la prompte réédification de l'Opéra, qui vient de brûler de fond en comble. V. M. s'amuserait fort aussi de tous les propos contradictoires qu'elle entendrait, dans nos sociétés, sur la retraite récente de M. Necker, autre matière à grandes réflexions, mais qui ne doivent pas non plus passer par le canal des honnêtes commis qui lisent les lettres aux postes, et à qui Dieu conserve les yeux, dont ils font un si digne et si noble usage!

Le César Joseph, comme V. M. l'appelle, est actuellement, dit-on, incognito à Versailles, ou doit y arriver incessamment sans se montrer à Paris. On raisonne ou bavarde beaucoup sur l'objet de son voyage; si c'est, comme on dit, pour négocier la paix, Dieu veuille l'exaucer et l'entendre! Il me semble, à en juger par les nouvelles publiques, que ce prince malmène un peu et le saint-père, et sa livrée, tant monastique que séculière; il va même, dit-on, jusqu'à accorder aux juifs la liberté de conscience et l'état de citoyen, ce que les augustes empereurs ses ancêtres auraient regardé comme le plus grand des crimes. C'est à vous, Sire, que l'humanité et la philosophie doivent rendre grâces de tout ce que les souverains font et feront encore pour favoriser la tolérance et réprimer la superstition; car c'est V. M. qui leur a donné la première ce grand exemple, si beau et si facile pour eux à imiter, et qu'ils ont néanmoins encore imité si peu. Prions le roi des rois, comme dit la sainte Écriture, que Leurs Majestés s'instruisent et s'éclairent!

Je suis avec la plus profonde et la plus tendre vénération, etc.