<165>ne souffre pas, à la vérité, du moins vivement, d'esprit ni de corps; mais je suis dans cette langueur d'âme et d'organes qui rend insensible à tout. C'est que la nature m'a fait naître faible, tandis qu'elle a donné à V. M. des fibres proportionnées à la vigueur et à l'étendue de son génie.

Le sculpteur du buste de Voltaire, chez qui je vais souvent pour le presser, me promet d'avoir fini incessamment ce buste, dont j'espère que V. M. sera parfaitement satisfaite. Il faut donc renoncer, puisque V. M. le juge plus à propos, à voir sa statue dans l'église de Berlin, foulant aux pieds la Superstition et le Fanatisme. J'avoue, Sire, que j'ai regret à ce monument, surtout quand je pense qu'il eût été érigé par ordre de V. M., et qu'il eût retracé aux siècles futurs les honneurs rendus par Auguste à Virgile. Croiriez-vous, Sire, qu'on refuse ici à sa famille de lui faire un mausolée très-modeste dans la petite église obscure de province où il est enterré? On dit même que les prêtres l'ont secrètement exhumé pour le jeter à la voirie. Il n'y a pas grand mal à cela, ni pour lui, ni pour ceux qui s'intéressent à sa mémoire; mais il serait étrange que le gouvernement, qui n'aime pas les prêtres, quoiqu'il les craigne, consentît à cette indignité, et je ne saurais le croire.

Ces prêtres, Sire, que V. M. méprise, parce qu'elle n'en a rien à craindre, ont ici de puissants protecteurs, et sont plus acharnés que jamais contre le progrès de la raison et des lumières. L'ouvrage le plus indifférent à cette vermine par son objet ne saurait paraître au jour, s'il n'est permis par les prêtres ou par leurs suppôts; car la bassesse et la faim leur en font trouver parmi les gens de lettres. Cette inquisition enchaîne et glace tous les esprits; les injures qu'on vomit dans les chaires contre la raison et contre ses défenseurs, injures qui sont appuyées par des magistrats imbéciles ou fanatiques, achèvent d'avilir et de décourager ce qu'il y a de plus éclairé et de plus estimable dans la nation. Je ne parle point de ce malheur pour mon propre intérêt; je suis plutôt spectateur que patient dans cette galère, où je me tiens les bras croisés, bien résolu de ne plus rien imprimer, si j'imprime jamais, que dans un pays où la vérité puisse s'exprimer librement, sans offenser ni le Roi, ni l'administration, ni les