<154>Anaxagoras, ma sentence prononcée, et je ne vous reverrai plus que dans la vallée de Josaphat, s'il en est une. Pour Voltaire, je vous garantis qu'il n'est plus en purgatoire; après le service public pour le repos de son âme, célébré dans l'église catholique de Berlin,a le Virgile français doit être maintenant resplendissant de gloire; la haine théologique ne saurait l'empêcher de se promener dans les champs Élysées en compagnie de Socrate, d'Homère, de Virgile, de Lucrèce; appuyé d'un côté sur l'épaule de Bayle, de l'autre sur celle de Montaigne, et jetant un coup d'œil au loin, il verra les papes, les cardinaux, les persécuteurs, les fanatiques souffrir dans le Tartare les peines des Ixion, des Tantale, des Prométhée, et de tous les fameux criminels de l'antiquité. Si les clefs du purgatoire eussent été uniquement entre les mains de vos évêques français, toute espérance pour Voltaire aurait été perdue; mais par le moyen du passe-partout que nous ont fourni les messes pour le repos des âmes, la serrure s'est ouverte, et il en est sorti en dépit des Beaumont,a des Pompignan,b et de toute la séquelle.

Vous me faites plaisir de m'informer de l'édition nouvelle qu'on prépare des œuvres de Voltaire; il serait à souhaiter que les éditeurs élaguassent ces sorties trop fréquentes sur les Nonotte, les Patouillet, et d'autres insectes de la littérature, dont les noms ne méritent pas de se trouver placés à côté de tant de morceaux inimitables qui, dignes de la postérité, dureront autant et plus peut-être que la monarchie française. Les écrits de Virgile, d'Horace et de Cicéron ont vu détruire le Capitole, Rome même; ils subsistent, on les traduit dans toutes les langues, et ils resteront tant qu'il y aura dans le inonde des hommes qui pensent, qui lisent et qui aiment à s'instruire. Les ouvrages de Voltaire


a Ce service solennel fut célébré le 30 mai. M. Thiébault en a donné dans les journaux du temps une relation qu'il a aussi insérée dans ses Souvenirs de vingt ans de séjour à Berlin, quatrième édition, t. V, p. 298 et 299, en la faisant précéder de ces mots : « De retour (de la cérémonie) chez moi, j'expédiai pour le Roi, pour les gazetiers de la ville, pour le Courrier du Bas-Rhin et quelques journaux étrangers, des copies toutes préparées d'avance de la relation qui suit. »

a Voyez ci-dessus, p. 130.

b Voyez t. XV, p. 37, et t. XXIII, p. 34.