<113>qui serait bien digne d'être placée dans l'épitaphe de Voltaire au lieu de sa profession de foi. Je m'aperçois un peu tard que je n'ai pas répondu à l'article de cette excellente lettre où V. M. dit que peut-être le vieux patriarche vivrait encore, s'il était retourné à Ferney. Hélas! Sire, je le crois comme vous, et je suis persuadé que la vie fatigante et agitée qu'il a menée à Paris a considérablement abrégé ses jours. J'étais fort d'avis qu'il retournât à Ferney au commencement de la belle saison, et qu'il allât y jouir paisiblement des hommages qu'il avait reçus à Paris. Mais sa nièce, qui s'ennuyait à Ferney, l'en a détourné, et plusieurs de ses amis ont pensé de même, craignant que s'il retournait jamais dans sa retraite, les prêtres n'obtinssent un ordre qui l'obligeât d'y rester. Ils avaient déjà cherché à lui faire une affaire sur son retour à Paris, disant qu'il y était venu sans permission; mais il a été bien vérifié qu'il n'avait jamais eu de défense d'y venir, et on a pris le sage parti de le laisser jouir tranquillement de sa gloire. Pour moi, Sire, quand j'appris qu'il avait formé presque subitement le dessein de venir à Paris, et qu'il était déjà en route, j'en fus très-affligé, ne doutant pas qu'il ne vînt y chercher la persécution et la mort. Je me suis trompé, à ma grande satisfaction, sur le premier article, et son apothéose si brillante et si solennelle m'avait consolé de son voyage; mais malheureusement je ne me suis pas trompé de même sur les suites funestes et irréparables de ce voyage imprudent et précipité. Son médecin a dit que s'il était resté à Ferney, il aurait pu vivre encore dix années. En effet, le principe de la vie était si fort chez lui, que son agonie a été longue et douloureuse. Il avait encore, à quatre-vingt-quatre ans, tout le feu de sa jeunesse; et dans une de nos assemblées de l'Académie, où l'abbé Delille lui lut une traduction en vers d'une Epître de Pope, M. de Voltaire nous étonna et nous enchanta tous par sa présence d'esprit et sa mémoire, se souvenant à chaque vers français du vers correspondant de Pope, qu'il n'avait peut-être pas lu depuis trente années. Quoique sa tragédie d'Irène ne vaille ni Zaïre, ni Mahomet, elle est encore fort supérieure à toutes les tragédies qu'on nous donne aujourd'hui. On m'a dit que V. M. l'a fait demander à la famille, qui sans doute se fera un plaisir et un de-