151. DE L'ÉLECTRICE MARIE-ANTONIE DE SAXE.

Dresde, 28 octobre 1771.



Sire,

Je ne me lasse point de lire l'admirable lettre que Votre Majesté a bien voulu m'écrire le mois passé, et je la relis toujours avec de nouveaux transports. Quelle énergie! quelle rapidité! Vous peignez, Sire, l'Europe comme vous l'avez combattue. Trois lignes développent les intérêts les plus compliqués, les desseins et les entraves. Non, Sire, il est impossible qu'un médiateur qui veut les choses comme vous travaille longtemps sans fruit. Vous êtes né pour triompher des difficultés. Le genre humain, que <226>vous éclairez, et que vous couvrez de gloire, vous devra encore le plus grand bonheur dont il soit capable, la paix. Je me figure de voir les sultanes, à leurs ennuyantes collations, s'exercer à prononcer le nom de Frédéric, chacune vous attribuer à son tour ce qu'elle connaît de plus sublime : de belles moustaches, une magnifique aigrette sur votre turban, et surtout un kislar-aga moins laid et moins farouche que le leur. La plus rusée prendra V. M. pour l'ange de la paix. Qu'il est beau de s'annoncer sous ce nom!

Il est vrai que Charlemagne, tout héros qu'il croyait être, ne pensait pas de même. Aussi ne va-t-on voir sa résidence que par ordre des médecins, et on la quitte le plus tôt qu'on peut. Depuis que j'en suis partie, et que j'ai pris congé des nymphes de Spa, j'ai vu la charmante nièce du plus grand des mortels. Sa retraite de Loo ne l'a pas mise à l'abri de ma visite; je n'aurais rien cru voir sans elle. Que ces bons républicains, Sire, vous doivent de reconnaissance pour l'inestimable présent que vous avez daigné leur faire! J'ai éprouvé par moi-même combien tout ce qui tient à Frédéric est digne d'admiration et de respect. Que V. M. juge de là quelle aurait été ma satisfaction, si j'avais pu voir madame la duchesse de Brunswic. Mais toutes mes dimensions étaient prises pour un chemin opposé, et il était écrit dans le livre des destinées que, dans cette tournée, je serais privée de ce bonheur. J'espère cependant que ce ne sera ni pour toujours, ni même pour longtemps. On m'a fait à Loo la réception la plus obligeante. C'est surtout à vos bontés, Sire, que je la dois. La cause et l'effet me sont également flatteurs. Après m'être arrachée de Loo, j'ai pris par le plus long pour retourner chez moi, où je ne suis arrivée que la semaine passée. Je n'ai pas mis quarante ans à mon voyage; mais, à cela près, je l'ai fait en zigzag, à la manière du peuple d'Israël.251-a Chemin faisant, j'ai renouvelé d'anciennes connaissances, j'en ai fait de nouvelles; j'ai vu des cours et des souverains; j'ai eu le plaisir de passer une journée avec la landgrave de Darmstadt et sa respectable mère. Je me suis liée de la plus tendre amitié avec elle; elle aurait eu toute mon admiration, mais j'avais vu Frédéric. Que peut-on admirer <227>encore dans l'univers, lorsqu'on a eu le bonheur de vous connaître? Il n'est personne, Sire, qui vous porte un tribut plus sincère de haute estime et d'attachement que celle que V. M. daigne nommer diva Antonia. Je ne connais point de titre plus glorieux que celui d'être à jamais, etc.


251-a Deutéronome, chap. VIII, v. 2, et chap. XXIX, v. 5.