36. DE L'ÉLECTRICE MARIE-ANTONIE DE SAXE.

Dresde, 1er février 1765.



Sire,

Votre Majesté m'a sensiblement affligée; je ne veux m'en plaindre qu'à elle-même. Quoi! Sire, vous qui êtes si fort au-dessus des vaines formalités, vous rappelez votre ministre pour une difficulté de ce genre! Vous lui ordonnez de partir dans les vingt-quatre heures, et sans prendre congé! Ah! Sire, après tant d'assurances d'amitié et de bonté que vous m'avez données, comment traitez-vous mon fils, ce fils que j'élève pour cultiver avec V. M. le meilleur voisinage, pour rechercher et mériter son amitié? Ce n'est point, Sire, une nouveauté que l'on ait prétendu introduire ici; jamais nos ministres d'État n'ont cédé formellement aux en<79>voyés des rois; ils les ont quelquefois laissés passer à la suite des ambassadeurs, et en général il y a eu peu de règle et peu d'attention sur cette matière. A présent même, on ne cherchait nullement à mettre la question sur le tapis et à la décider. L'occasion qui l'a excitée n'y donna point lieu nécessairement. Les ministres d'État avaient demandé audience à l'Électeur pour le premier jour de l'an; elle leur était accordée pour dix heures; lorsqu'ils furent introduits, les ministres étrangers, qui n'avaient point demandé audience comme ils avaient coutume de faire auprès de feu l'Électeur mon époux et de moi, ni ne s'étaient fait annoncer, ne se trouvaient pas même rassemblés dans l'appartement. Il n'y avait que celui de V. M., avec ceux de la Grande-Bretagne et de Suède. De quel droit ces trois envoyés prétendaient-ils entrer dans la chambre du prince au moment qu'il avait assigné à son ministère? Il n'y avait point là de concurrence, et les ministres étrangers pouvaient, à ce qu'il me semble, rester tranquilles sans compromettre leur prétention. S'ils n'eussent pas fait tant de bruit, et n'eussent pas élevé la question, on eût évité les occasions de concurrence, comme on avait fait jusqu'ici. Mais dès que les envoyés de têtes couronnées, se joignant pour faire cause commune, ont demandé hautement et de droit la préséance sur nos ministres d'État, quoique ci-devant ils eussent notoirement cédé aux feux comtes de Brühl et de Wackerbarth, on n'a pu se dispenser de leur déclarer que ni la dignité de la cour, ni les usages le plus universellement reçus, ne permettent d'accorder aux ministres du second ordre un rang qui est réservé aux ambassadeurs. V. M. porte dans ses titres la dignité électorale; vous ne voudrez point l'avilir, après avoir concouru aux capitulations qui lui assurent les honneurs royaux. Je dois croire que les rapports faits à V. M. ont été aigris et envenimés : il me revient, par exemple, que l'on nous accuse d'avoir expressément attendu le départ du comte de Sternberg pour faire prendre à nos ministres d'État le pas sur les envoyés. Daignez m'en croire, Sire, nous n'avons jamais eu cette pensée. On a mêlé dans le récit de cette malheureuse affaire des circonstances ou mal fondées, ou interprétées avec aigreur. J'y reconnais une manœuvre qui m'en veut à moi-même; on cherche à noircir des personnes <80>qui me sont attachées, et dont je juge les services utiles à l'État. Soyez persuadé, Sire, que je ne donne et ne donnerai jamais ma confiance à aucun ministre, si je ne le vois imbu de principes sages et modérés, et par conséquent dans la ferme intention de travailler de tout son pouvoir au maintien d'un bon voisinage avec les États de V. M. Telle est, Sire, ma façon de penser, aussi invariable que les sentiments de la plus haute considération avec lesquels j'ai l'honneur d'être, etc.