<630>nement atroce et aveugle qui confond dans ses vengeances les criminels et les innocents. Accusez-moi de trop de tolérance, je me glorifierai de ce défaut; il serait à souhaiter qu'on ne pût reprocher que de telles fautes aux souverains.

Voilà pour les jésuites. A l'égard de M. de Crillon, ne vous fâchez pas de ce que je vous ai écrit sur son sujet; je le crois très-vertueux, et tel que vous le dépeignez. Je ne suis pas assez téméraire pour juger du mérite d'un étranger sans le connaître; j'ai fait le rapporteur de la voix publique, et de ce qu'on écrit de lui de Pétersbourg, du Danemark et d'autres lieux qu'il a traversés dans son voyage. Je me garde bien aussi de prendre M. de Guibert pour un homme indifférent; ce héros, quoique en herbe, sauvera peut-être un jour la France, et remplira l'univers du bruit de ses exploits. Cela se trouve dans le cas des possibilités, et par conséquent cela peut arriver. Pour sa tragédie, je n'en ai pas entendu le mot; mais je la crois bonne et excellente, sur la foi du charbonnier. D'Alembert a du goût, il a approuvé ce drame; donc je dois l'en croire sur sa parole. Pour l'invisible Diderot, je ne sais que vous en dire; il est comme ces agents célestes dont on parle toujours, et qu'on ne voit jamais. Un de ses ouvrages me tomba naguère entre les mains; j'y trouvai ces paroles : « Jeune homme, prends et lis; »a sur cela, je fermai le livre, comprenant bien qu'il n'avait pas été fait pour moi, qui ai passé soixante ans. Des lettres de Pétersbourg marquent que l'Impératrice lui a fait faire un habit et une perruque, parce qu'il était fagoté de façon à ne pas pouvoir se produire à sa cour sans cette nouvelle décoration. Si après cette apologie vous ne me croyez pas encore assez bon Français, j'ajouterai, pour ma justification, que j'admire beaucoup vos Velches quand ils ont du bon sens et de l'esprit; que je fais grand cas des Turenne, des Condé, des Luxembourg, des Gassendi, des Bayle, des Boileau, des Racine, des Bossuet, des Deshoulières même, et, dans ce siècle, des Voltaire et des d'Alembert; mais que, ma faculté admirative ou admiratrice étant restreinte à de certaines bornes, il m'est impossible d'englober dans ces actes de vénération des avortons du Parnasse, des philosophes à paradoxes et à so-


a Voyez t. XIX, p. 208, et t. XXIII, p. 176.