<520>pouvons, quelques vérités dans ce sombre abîme, et séparer, s'il se peut, quelques objets réels des objets imaginaires qui les enveloppent, il faut mettre à part tous les prestiges de l'imagination, et tâcher de raisonner le plus conséquemment que nous pourrons. Il s'agit de Dieu, de la liberté, de la religion, et de Louis XIV.

Je commence donc par Dieu, et par l'idée la moins contradictoire qu'on peut se former de cet être. Je suis convaincu qu'il ne saurait être matériel, parce qu'il serait pénétrable, divisible et fini. Si je le suppose un esprit, je me sers d'un terme métaphysique que je n'entends pas; en le prenant selon la définition des philosophes, je dis des sottises, car un être qui n'occupe aucun lieu n'existe réellement nulle part, et il est même impossible qu'il y en ait un. J'abandonne donc la matière et l'esprit pur, et, pour avoir quelque idée de Dieu, je me le représente comme le sensorium de l'univers, comme l'intelligence attachée à l'organisation éternelle des mondes qui existent; et en cela je ne m'approche point du système de Spinoza, ni de celui des stoïciens, qui regardaient tous les êtres pensants comme des émanations du grand esprit universel, auquel leur faculté de penser se rejoignait après leur mort. Les preuves de cette intelligence ou de ce sensorium de la nature sont celles-ci : les rapports étonnants qui existent dans tout l'arrangement physique du monde, des végétaux et des êtres animés; en second lieu, l'intelligence de l'homme; car, si la nature était brute, elle nous aurait donné ce qu'elle n'a pas elle-même, ce qui est une contradiction grossière.

La matière de la liberté n'est pas moins ténébreuse que celle de l'existence de Dieu; mais voici quelques réflexions qui méritent d'être pesées. D'où vient que tous les hommes ont en eux un sentiment de liberté? d'où vient qu'ils l'aiment? Pourraient-ils avoir ce sentiment et cet amour, si la liberté n'existait point? Mais puisqu'il faut attacher un sens clair aux mots dont on se sert, je définis la liberté : cet acte de notre volonté qui nous fait opter entre différents partis, et qui détermine notre choix. Si donc j'exerce cet acte quelquefois, c'est un signe que je possède cette puissance. L'homme se détermine sans doute par des raisons; il serait insensé s'il agissait autrement; l'idée de sa conser-