<506>amèrement critiqué après sa mort. Vous accusez ce prince d'avoir le premier donné l'exemple de ces armées nombreuses qu'on entretient de nos jours. Ne vous souvenez-vous donc pas que longtemps avant lui les Romains en avaient introduit l'usage? Mettez-vous dans le cas de ce prince. Il prévoyait que la jalousie de ses voisins lui susciterait des guerres toujours renaissantes; il ne voulait pas être pris au dépourvu. Il voyait la maison royale d'Espagne près de s'éteindre; ne devait-il pas se mettre en posture pour profiter des événements favorables que l'occasion lui présentait? et n'était-ce pas un effet de sa prudence et de sa sagesse de les entretenir avant qu'il en eût besoin? Et après tout, les grandes armées ne dépeuplent pas les campagnes, ni ne font manquer de bras l'industrie. En tout pays, il ne peut y avoir qu'un certain nombre d'agriculteurs, proportionné aux terres qu'ils ont à cultiver, et un certain nombre d'ouvriers, proportionné à l'étendue du débit; le surplus deviendrait ou mendiant, ou voleur de grands chemins. De plus, ces nombreuses armées font circuler les espèces, et répandent dans les provinces, avec une distribution égale, les subsides que les peuples fournissent au gouvernement. L'entretien coûteux de ces armées abrége la durée des guerres; au lieu de trente ans qu'elles duraient il y a plus d'un siècle, les monarques, par épuisement, sont obligés de les terminer bien plus vite. De nos jours, sept ou huit campagnes au plus épuisent les fonds des souverains, et les rendent pacifiques et traitables. Il faut encore observer que ces grosses armées fixent les conditions plus définitivement qu'elles n'étaient fixées autrefois. Au premier coup de trompette qui sonne à présent, ni le laboureur, ni le manufacturier, ni l'homme de loi, ni le savant, ne se détournent de leurs ouvrages; ils continuent tranquillement à s'occuper à leur ordinaire, laissant aux défenseurs de la patrie le soin de la venger. Autrefois, à la première alarme, on levait des troupes à la hâte, tout devenait soldat, on ne pensait qu'à repousser l'ennemi; les champs restaient en friche, les métiers demeuraient oisifs, et les soldats, mal payés, mal entretenus, mal disciplinés, ne vivaient que de rapines, et menaient la vie de brigands sur les malheureuses terres qui servaient de théâtre à leurs déprédations. Tout cela est bien changé,