<479>utile d'éclairer les hommes. Combattre le fanatisme, c'est désarmer le monstre le plus cruel et le plus sanguinaire; crier contre l'abus des moines, contre ces vœux si opposés aux desseins de la nature, si contraires à la multiplication, c'est véritablement servir sa patrie. Mais je crois qu'il y aurait de la maladresse et même du danger à vouloir supprimer ces aliments de la superstition qui se distribuent publiquement aux enfants, que les pères veulent qu'on nourrisse de la sorte.

La réforme, comme vous le savez, fit une grande révolution; mais que de sang, que de carnage, que de guerres, de dévastations pour oser se passer de quelques articles de foi! quelle fureur s'emparerait des hommes, si l'on voulait les supprimer tous! Il serait beau sans doute de jouir du spectacle unique d'un peuple sans erreur, sans préjugé, sans superstition, sans fanatisme; mais il est dit dans les Centuries de Nostradamusa qu'on ne le découvrira qu'après en avoir trouvé un sans vices, sans passions et sans crimes. Vous autres lumières de ce ténébreux univers, vous laisserez échapper des gerbes de raisons pour l'éclairer; qu'en arrivera-t-il? Que quelques gens de lettres diront que vous avez raison; que les bonzes et les lamas crieront; qu'une infinité d'imbéciles boucheront hermétiquement les pertuis de leurs antres, pour empêcher que votre jour n'éblouisse et eux, et les habitants de leurs tanières; et que le monde demeurera aveugle. La philosophie, encouragée dans ce siècle, s'est énoncée avec plus de force et de courage que jamais; quels sont les progrès qu'elle a faits? On a chassé les jésuites, direz-vous. J'en conviens; mais je vous prouverai, si vous le voulez, que la vanité, des vengeances secrètes, des cabales, et enfin l'intérêt, ont tout fait. Je vous objecterai en revanche le meurtre juridique de Calas, la persécution de Sirven, la cruelle aventure d'Abbeville, la canonisation de ...,b les sorcières qu'on brûle publiquement à Rome, les ridicules querelles des Suisses sur les peines infinies,c la fureur théologale des prêtres hollandais contre des professeurs qui enseignaient que la vertu suffit aux hommes, l'espèce de guerre


a Voyez t. XVII, p. 142.

b La canonisation de Cucufin. Voyez t. XXIII, p. 177.

c Voyez t. XX, p. 315, 320 et suivantes, et t. XXIII, p. 112.