<272>plainte. C'est sans doute une consolation bien douce de voir d'autres partager nos maux. Mais ces maux n'en sont pas moins tels, et tout le monde n'a pas comme moi l'avantage d'être plaint par le plus sublime des hommes.

Voilà donc enfin la paix faite,a et faite, dit-on, en un clin d'œil, les armes à la main, par quarante mille hommes qui dictaient la paix à cent cinquante mille. Cela est bien glorieux d'une part, quoique un peu lâche de l'autre. Mais nous sommes dans le siècle des grands événements et des belles actions. V. M. élève ce siècle avec elle. Tel a toujours été le sort des héros; mais ils restent supérieurs à ce siècle formé par eux, par leurs exemples, par leurs préceptes.

Puissé-je toujours mériter de l'avoir vu, ce héros étonnant et ce mortel sublime qui sera sans cesse l'objet de toute mon admiration et du plus parfait et inviolable attachement avec lequel je suis, etc.

184. A L'ÉLECTRICE MARIE-ANTONIE DE SAXE.

(Potsdam) 20 octobre 1774.



Madame ma sœur,

Si Apollon était encore au monde, qui aurait-il dû guérir préférablement à V. A. R.? Lui et son fils Esculape seraient accourus pour rendre la santé à la dixième Muse; nous aurions manqué peut-être un jour de lumière, et le char du soleil aurait été abandonné sans conducteur à la fougue de ses chevaux. Mais, madame, les prédécesseurs de Ganganelli, par jalousie de métier, ont fait main basse sur Apollon, et nous abandonnent à de misérables charlatans qui prétendent posséder l'art d'Esculape, et qui travaillent dans l'obscurité. C'est, madame, à votre grande âme que vous devez le rétablissement de votre santé; elle est demeu-


a La paix de Kutschuk-Kainardschi, conclue entre les Russes et les Turcs le 21 juillet 1774. Voyez t. VI, p. 71.