<243>Non, l'air n'est point ailleurs si pur, l'onde si claire;a

et si dans cette onde les bons Bavarois n'ont pas de marée ni d'huîtres, ils y ont du moins de très-bonnes truites, dont ils ne se font pas faute. Sans oser me flatter d'avoir un estomac bien national, je n'en aime pas moins les lieux de ma naissance. Que de souvenirs agréables! Ces amusements du premier âge, ces illusions, ces espérances, ce bonheur sans mélange, ce calme heureux qu'on se rappelle toujours avec joie, qu'on cherche encore, et qu'on ne retrouve plus, tout cela m'a vivement émue à mon retour, quoique mon imagination fût encore frappée de toutes les belles choses que j'avais vues dans ma course. Telle est la force des premières impressions qui s'emparent de notre âme. Ce que j'ai trouvé de surprenant en Italie, c'est que tant de monuments de la sagesse et du goût des anciens n'y fassent pas éclore plus d'hommes de génie. Tout se trouve dans ce beau pays, et il ne se fait presque rien. Quand j'ai vu tant de facilité pour le grand, le beau et l'agréable, et si peu d'envie d'en profiter; quand j'ai comparé tout cela aux prodiges qu'a opérés le créateur de Sans-Souci et de l'esprit de sa nation, j'ai bien appris à redoubler d'égards pour ce génie sublime qui tire tout de son propre sein, et qui semble commander à la nature. Ce génie incomparable est toujours présent à mes yeux et à ma mémoire. Ce serait mon génie tutélaire, s'il le voulait; c'est celui des arts, de la philosophie, de la politique, de la guerre, de la paix. Conjurez-le, Sire, de rester pour moi celui de l'amitié; son temple est dans mon cœur, où je ne cesse de lui rendre le culte le plus pur de l'admiration et de la haute estime avec laquelle je suis, etc.

Je supplie V. M. de me pardonner la liberté que je prends de lui présenter le ci-joint mémoire; c'est en faveur d'une dame que, je le sais, vous honorez de votre estime, Sire, sans quoi jamais je n'eusse osé le hasarder, malgré le vif intérêt que je prends à sa situation, qui, dans ces tristes moments, est fort embarrassante.


a Ce vers est le trente-septième de l'Épître V du cardinal de Bernis, Sur l'amour de la patrie. Voyez ses Œuvres, A Paris, 1825, p. 277; voyez aussi t. IV, p. 38, et t. X, p. 123 de notre édition.