« <130>Ne vous mêlez point, leur dit-il, des affaires du gouvernement. »c Cette maxime est très-sage, et peut-être la seule qui puisse mener l'homme à l'espèce de bonheur que comprometa sa nature; tous ceux qui ont des affaires à manier savent que, entre cent qui leur passent par les mains, il y en a quatre-vingt-quatorze de désagréables; que plus les affaires sont grandes, plus on est exposé aux vicissitudes de la fortune; et enfin, que si l'on veut tenir son âme dans une situation calme, la seule dans laquelle elle puisse être heureuse, il faut l'éloigner de tout ce qui peut lui causer de violentes secousses. Cela posé, il me paraît évident que, ne voulant avoir que mon bonheur individuel en vue, je trouverais mon plus grand avantage dans une condition privée, qui me procurât les aisances de la vie sans superflu, que dans l'appareil imposant de la fortune. Si je considère, de plus, que tous les hommes étant également condamnés à mourir, il me paraît que les plus sages sont ceux qui font ce chemin le plus uniment, avec le moins de trouble et d'embarras.b Alexandre le Grand, qui connaissait bien la gloire, enviait le désintéressement et la modération de Diogène, de ce cynique effronté que je n'aurais pas pris pour modèle. Mais il s'en est trouvé d'autres qui, pratiquant les maximes d'Épicure, ont mené une vie heureuse et douce, comme cet Atticus, l'ami de Cicéron, qui, dans tous les troubles de la république, se tint dans une neutralité parfaite, ne brigua jamais d'emplois, renonça à toute ambition, et fut en honneur chez le parti vaincu et chez le parti victorieux. Je suis convaincu, madame, que quelqu'un qui se tracerait cette conduite dès sa jeunesse, et qui la suivrait sans s'en écarter, s'applaudirait du parti qu'il aurait pris. Cela est plus faisable dans les États républicains que dans ceux d'une domination souveraine; toutefois il faut avouer que la jeunesse, aveuglée par des illusions brillantes, se précipitant dans ses choix, se prépare souvent, sans le savoir, des causes qui influent sur le destin de toute sa vie.

Voilà, madame, ma confession telle que si vous l'aviez lue


c Voyez t. XIX, p. 178 et 330.

a Permet. (Variante du manuscrit des Archives de l'État, à Berlin.)

b Voyez ci-dessus, p. 27 et 28.