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66. DE L'ÉLECTRICE MARIE-ANTONIE DE SAXE.

Dresde, 8 juillet 1766.



Sire,

Vous, Sire, vous appréhendez de m'inspirer de l'ennui? Quelle épigramme sur ma correspondance avec V. M.! C'est par une contrevérité que vous m'apprenez l'effet que mes lettres produisent sur votre esprit. Je sens combien votre vol est élevé, lorsque je ne fais que raser la terre, et, s'il était permis à une femme d'oser citer du latin, je dirais de moi, comme le bon Virgile du jeune Jule :

...... Sequiturque patrem non passibus aequis;a

ou, pour me rapprocher un peu plus des connaissances permises à mon sexe, je prendrais ma comparaison d'un livre vraiment fait pour être dans mes mains, et je me peindrais aussi lente dans ma marche que l'était le prince des apôtres, quand il suivait de si loin le meilleur des maîtres.a Mais je m'égare, et je reviens. Vous me parlez de Praxitèle et de sa statue; si vous n'avez que cette difficulté à opposer à l'existence de la vertu, telle que je la désirerais, vous êtes battu par votre propre exemple. Permettez-moi, Sire, sans offenser votre modestie, de vous dire que vous nous retracez ce chef-d'œuvre de l'antiquité. Nous avions cru jusqu'à présent que trop de différentes perfections entraient dans la composition de l'homme fait pour commander dignement aux autres hommes; vous êtes, Sire, l'ouvrage sorti des mains d'un Praxitèle. Avouez, Sire, que voilà un bel effort d'imagination de comparer le héros du siècle à la Vénus de la Grèce; mais le parallèle est vrai par l'assemblage et la réunion des qualités, et ce que je puis faire de mieux pour ôter ce qui y cloche, c'est de dire que vous êtes le Mars de cette Vénus. Telle est, Sire, la réponse que je dois à votre humble confession : plus on s'humilie,


a Énéide, liv. II, v. 724.

a Évangile selon saint Matthieu, chap. XXVI, v. 58.